• « Jusqu'à ce qu'un beau garçon venu de loin le pénètrerait par le corps et l'âme

    Dans la rue, Hugo passe, tel un ange aux cheveux longs qui dissimulent sa figure aux traits fins. Le vent sur la digue enveloppe ses jambes, son cou, il entend la voix traînante des beaux garçons, comme leurs mains de couteau brillant. Et leur nonchalance quand ils sourient à rien, à eux ; quand leur dos roulé de muscles courts et lisses s'appuie contre le mur bas de l'hôtel, en lettres peintes, noires sur fond gris. La lune peut bien trancher la ligne du nez depuis l'arcade jusqu'à la bouche large : ils attendent. Quoi ? Plaire ? Ils sont la séduction. Aucun artifice, ils sont là et cela suffit. Le pied droit replié contre la façade et le genou pointe, dur et épais sous le flottement du pantalon.

    Hugo voit l'un d'entre eux. Il tremble tout à coup : son  regard le  trahira. Sûrement que le gars le surprendra et se moquera. Et ses pas s'effacent dans la nuit. Non, il fait demi tour jusqu'à la façade grise. « T'as une cigarette ? » A peine une question, un rite. Oui c'est le gars, pas même un matelot, non plus un gigolo, un beau garçon, qui lui parle, à l'ange. « Je ne voulais pas ça, non, je passais », se dit l'ange à lui-même. Le beau garçon le regarde : ses yeux brillent, sans trace de mépris, à peine du l'étonnement. Ils sont là pour ça, à quoi bon tricher.

    L'ange, c'est la première fois qu'il vient dans ces quartiers. Il avait lu quelque part dans les pages glacées d'un magazine que là-bas, les hommes attendent. Longtemps, la nuit, sur son lit défait, il imaginait les rues noires, le froid d'une heure. Et ceux qui se tenaient là, en quête. Le Graal brille dans la pierre noire de la vieille ville, ce n'est plus le sang du Christ qui s'écoule sur ses parois : des perles laiteuses. Les images déferlent dans la tête bouclée de l'ange. Des escaliers étroits, sales dans les coins. La lampe jaunie, le gardien qui tend la clé sans les regarder.

    Le jour, l'ange  se promène seul sur les trottoirs de la ville ; il guette le ciel à travers les fils électriques tendus entre les rues. Sur le pont la sirène d'une péniche l'effraie. Contre le parapet il se tient : une large péniche béante remonte longuement le fleuve. Elle découvre ses cales rouillées et glisse au-dessous du pont qu'elle pénètre sans effort aucun, écrasant l'eau qui lisse ses flancs.

    L'ange a frémi. Le gars a posé sa main sur son épaule : « C'est la première fois que tu montes ? » Sa voix est rauque ; on la dirait tendre. La bouche dans les coins est dure : deux plis imperceptibles la tire vers la mâchoire. Sous les pommettes, les muscles se tendent, creusent les joues et l'ange entend le même déferlement des muscles dans ses joues pleines. Sur la peau du gars la barbe est craquante. Initiation.

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    Une nuit dans le pub rouge
    J'avais trop bu c'est sûr
    Pour t’oublier mon amant
    Qui ne venais pas.

    Les hommes s'approchaient
    Guêpes autour du calice sucré
    Je baillais d'ennui à toi
    Qui te promenais ailleurs.

    Ils causaient beaucoup cette nuit-là
    Leurs discours s'épaississaient
    Dans mes verres déjà vides
    Le regard de l'un était trop exceptionnel
    Celui-là attendait des vagues de tendresse
    Cet autre avait la gueule
    Ravagée par la cocaïne et le gin.

    Lui avait les rides dionysiaques
    Voilà bien pour sacrifier à toi cruel.
    Pendant qu’il touchait mes jambes
    Je buvais encore et encore
    Les verres offerts.
    Dans l'escalier sa main entre mes cuisses
    On a attendu la porte refermée sur nous
    Et le lit à peine défait.
    Ma jupe noire juste glissée
    L'éclair des nuits d‘été
    Tout le corps et toute l'âme
    Mouillé, palpitante.

    Et l'oubli de toi ne vint pas.


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  • Il n'y avait qu'une chose à faire et ce matin-là Isabelle avait choisi de faire tout le contraire. Cela avait même commencé la veille ou plus exactement depuis qu'elle connaissait Jacques, son nouvel amant. Elle avait l'impression de vivre dans un film de Woody Allen, non seulement parce que Jacques ressemblait physiquement à Woody Allen mais aussi parce qu'il agissait et parlait comme Woody Allen, enfin comme l'acteur dans ses propres films.
    Comment Isabelle avait-elle pu devenir la maîtresse de cet homme-là ? Il venait chez elle avec son oreiller serré sous son bras. Il lui était impossible de dormir sans son oreiller, toujours le même, comme le ferait un enfant. L'autre question qu'elle se posait : pourquoi, alors qu'il était marié, qu'il avait une autre maîtresse -disons officielle-, Jacques lui interdisait-il d'avoir d'autres amants ? A la première question Isabelle savait qu'elle avait craqué -comme on dit- parce qu'elle était seule. C'était la première fois qu'elle se retrouvait seule, dans un appartement à elle, donc elle avait fait tout le contraire de ses résolutions et elle avait choisi Jacques parce qu'il n'était pas tout à fait disponible. A la deuxième question, Jacques avait lui une réponse imparable : « Tu n'as pas le droit de me faire ça, je suis abandonnique, tu n'as pas le droit. » 
    Malgré l'interdiction, elle avait choisi pour amant, un jeune Islandais, prénommé Arni, qui était étudiant comme elle à la fac. Arni était évidemment l'opposé de Jacques : Isabelle trouvait Arni très craquant. Quand il lui fit des avances -vous savez le genre de phrases murmurées qui font frémir les femmes- elle oublia Jacques et ouvrit tout grand la chambre de son appartement pour accueillir avec gourmandise celui qui devint son deuxième amant.
    Le lendemain de cette petite escapade, lorsque Jacques frappa à sa porte et commença à lui redire à quel point il était abandonnique, elle lui souriait, non pas parce qu'elle se moquait de lui, mais parce qu'elle était encore pleinement envahie de sa nuit passée. De toute façon, elle était pressée, elle devait à quatorze heures passer son UV d'histoire moderne pour sa licence. « Jacques, nous reparlerons de ça plus tard, je dois partir. » Mais Jacques avait fermé la porte, bien décidé à la séquestrer ! Isabelle avait beau le supplier il refusait d'ouvrir. Il ne lui laissait pas le choix, n'avait-elle qu'une chose à faire : coucher avec lui pour tenter de l'amadouer et après s'enfuir loin de lui ?
    Elle préféra l'assommer avec la statuette d'un Bouddha en bronze. Jacques respirait doucement, étendu sur la moquette du salon, il dormait comme un enfant. Elle prit soin de glisser sous sa tête l'oreiller (le même qu'au début, vous suivez ?). Toujours avec le sourire, elle plongea la main dans son veston, récupéra la clé de son appartement, prit ses affaires et sortit rapidement. Sur le palier, elle respira un grand coup et la lumière se fit.


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  • Sur la toile mauve de mes nuits incertaines
    Ton message ne s'est pas accroché
    Ou bien je t'ai manqué ou bien tu m'as manquée.
    Pour être en pensée jusqu'à toi
    Je circule virtuellement dans la ville aux deux fleuves.

    Les pages de ton carnet se sont détachées
    Tu as arraché les mots traînant comme des chiens
    Pour mieux les enchaîner à mon esprit fiévreux
    Quelle est cette fièvre au goût d'argile
    Que les larmes d'hier absorbent ?
     
    Je me souviendrais du temps où des brigands se pressaient
    Dans ma couche d'épine pour troubler l'ordre et la loi.
    Tu aurais touché mon genou, tu aurais effleuré mes lèvres
    J'aurais sangloté à la seule empreinte
    De ton épaule laissée là après ton départ.

    Tes paroles seraient allées à d'autres
    Tes pas se seraient pressés vers ailleurs.
    Je ne t'aurais surtout pas guéri de tes doutes superbes.
    J'aurais écrit en boucle des mots au goût de rose
    Sur l'écran mauve des jours de Maud.




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  • Le bruit  de l'argile élastique
    Sous la semelle de cuir
    L'herbe mouillée, tourmentée
    Par l'épaisse chaussure qui se colle et se lace
    Autour de la cheville.
    Les nuits pleines de sons lointains
    Où l'air se fait lourd.


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