• Patrick m’a mise dans une situation particulièrement embarrassante. Écrire sur les faits divers.  Ce matin, j’accomplis ma mission : la lecture de mon quotidien régional, pages faits divers. Je découvre l’un après l’autre les articles : «La secrétaire d’une entreprise de BTP aurait détourné 200 000 euros. ». « Son voisin l’insulte à cause du bruit, il le frappe et lui prend sa carte bancaire. » «Poursuivi dans un centre commercial pour recel, vol, tentative d’escroquerie, menace avec armes et usage de fausse plaques», comportement rocambolesque, comme le souligne le dit-quotidien.

    En parcourant le journal, je pensais  que notre société allait bien mal, si le voisin de palier, la secrétaire, le consommateur deviennent déboussolés, instables, déviants, hors la loi. Et je soupirais : ma tâche est  impossible à remplir. Parler d’un fait divers sans chercher à comprendre notre société. Sans évoquer notre monde et ses contradictions.

    Page suivante, fait divers insolite :  « Le traiteur local a dû s’adapter au Premier ministre ». Devant un parterre d’élus locaux, notre Chef de gouvernement national était venu défendre le « made in Ardèche ». Hélas, son intolérance au gluten l’a privé des plats locaux. Intolérance. Gluten. Quelle drôle d’intolérance ! Je sifflotais dans ma tête cette vieille comptine que récitait ma fille à l’école primaire : «Le Pape est mort, un nouveau Pape est appelé à régner. Araignée ! Quel drôle de nom, pourquoi pas libellule ou papillon ? Vous n'avez pas bien compris, je recommence. » Non, décidément, ils n’ont pas bien compris. Se mettre au régime, c’est leur nouvelle politique ?

    L’intolérance au Gluten, quelle rime trouver avec Gluten ? Fontaine, mitaine, alien, et pourquoi pas haine ? Je poursuis la lecture de mon journal, assise dans mon pré vert,  à l’ombre de mon tilleul en fleurs, en fumant une cigarette « made in Ardèche. » Demain, c’est promis, je trouverai la rime pour Gluten. Intolérance au Gluten.


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  • Les Japonais sont bouddhistes

    Je ne suis pas bouddhiste

    Je suis occidental

    Je connais de la Mitteleuropa

    Ce que les livres m’ont écrit

    Il m’en reste une cape lourde à porter

    Qui gratte à ma peau

    Je guette au bout de l’océan atlantique

    L’ile au soleil levant

    Dommage Christophe a raté l’Orient

    Les Amériques ont arrêté son envol

    Les Indiens avaient des plumes

    Des prairies et des bisons

    Les Européens ont brisé leur monde

    Les déchets inorganiques du Japon

    S’approchent des côtes de L.A.

    Le rêve ne nous appartient plus.

     

     

     


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  • Au petit jour, dans Venise endormie, dont les touristes s'effacent comme estompés par le pouce d'un peintre, une jeune fille en robe claire marche en souriant. Un instant, elle caresse le bras d'une déesse en marbre qui, en un geste gracieux et énigmatique, pointe sa main droite, index levé, vers le ciel. Brusquement, la jeune fille se retourne. A ce moment précis, les touristes s'éveillent et de leurs bouches s'échappe un flot de querelles tandis que les fiacres et les voitures entament leur manège bruyant et les bateaux à moteur repeuplent les canaux. 

    Un adolescent en jeans a posé sa main sur le bras de la passante. Ce geste a suffi pour que chavire le faible équilibre du matin. «Voulez-vous visiter Venise avec moi ? Je serai votre guide.» Convaincue par la pureté de son front et par sa jeunesse rieuse, elle lui prend la main, sans hésiter. Ensemble ils courent dans les avenues. Soudain, sous un porche, le garçon lui échappe et pour le rejoindre elle se laisse engloutir par la vieille ville. Le décor grandit à mesure qu'elle avance et quand l'obscurité peu à peu se dissipe, elle découvre tout un entrelacs d'escaliers qui s'enroulent autour de piliers, s'accrochent le long des murs de granit et s'élèvent jusqu'à de lourdes charpentes sur lesquelles reposent des plafonds lointains. Des chants graves se perdent en écho dans les ombres crayonnées des galeries, le long desquelles s'allongent des cages emplies de silhouettes dociles. Dans l'une, un couple enlacé balance son corps double. Les cheveux blonds de la femme glissent sur les reins de son amant alangui dont la tête inclinée est semblable à celle de l'adolescent et cette ressemblance fait rougir la jeune fille. 

    Sa course l'a essoufflée et si un sourire flotte toujours sur son visage, des plis se forment aux coins de sa bouche, signes d'une inquiétude naissante. Dans une cage précieuse se love un homme serpent, au corps d'écailles brunes, parcouru de frissons. Ces scènes muettes enivrent la jeune fille qui voudrait bien goûter les mêmes frissons avec son compagnon, quand une foule surgissant de toute part l'éloigne à nouveau de lui. Bientôt encerclée par des hommes et des femmes vêtus de noir, aux visages incertains, elle sent ses membres s'alourdir et une angoisse extrême l'envahir, tandis qu'adossé contre une porte, son guide la regarde avec cette attitude nonchalante des jeunes gens où se mêle du défi dans la nuque tendue et le genou replié. Elle voudrait le supplier pour qu'il lui vienne en aide mais ses cris s'étouffent dans sa bouche et la foule, resserrant son emprise, l'emporte loin de son unique compagnon à travers des couloirs humides. 

    C'est le soleil, pénétrant par un étroit palier, obligeant l'incessante procession à regagner les souterrains, qui la délivre. Devant elle, s'étale alors un ciel intensément bleu, barré par une digue rectiligne et blanche qui retient la mer. Sur la plage, baignée d'une mousse salée à chaque vague, deux petits vieux regardent le va-et-vient de l'eau. L'homme tient une canne entre ses genoux et s'appuie contre une barque retournée. A ses côtés, sa femme est assise et retient sa jupe grise que le vent gonfle sur ses jambes étendues. A quelques mètres du rivage, un chat se noie et c'est ce spectacle qui les captive. Comme la jeune fille s'élance dans l'eau pour sauver l'animal la vieille essaie de la retenir en lui jetant des galets. Au moment où elle prend le chat entre ses bras, un dogue à la tête effrayante jaillit d'un remous noir. Les yeux exorbités, rouges de sang, la langue pendante entre des mâchoires menaçantes, il se jette sur la jeune fille qui se débat horrifiée. Le chat, réfugié près des vieux, observe à son tour la scène. Le chien tente de mordre le ventre de sa victime qui sent déjà les dents se resserrer sur elle. Elle enfonce alors sauvagement ses doigts dans les orbites jusqu'à ce que le chien aveuglé lâche prise. La jeune fille pleure à présent sur la plage. La morsure n'est pas profonde mais son ventre se gonfle de spasmes douloureux. Les vieillards lui reprochent de s'être mêlée de ce qui ne la regardait pas et s'éloignent, irrités, pour jouer ailleurs, avec leur chat et leur chien. 

    Quand la jeune fille s'est un peu calmée et que la douleur a séché au soleil, elle reprend sa marche sur la digue. Le vent l'accompagne, apportant par bouffée de la musique et des voix d'enfants jouant sur une plage. Un nuage de sable se soulève et à la place de la mer s'étend le désert, avec à l'horizon deux tentes de nomades dressées, côte à côte, l'une blanche, l'autre noire et devant chaque entrée se tient un homme. Pareils aux couleurs des tentes, l'un est vêtu de blanc, l'autre de noir. Ils portent tous deux la robe des nomades, ample et solennelle. Ils invitent la jeune fille dans leur tente dont l'intérieur se pare de lueurs rouges, drainées par de lourds tapis. Elle doit choisir l'un ou l'autre et hésite longuement. Le mirage n'attend pas et s'évanouit, ne lui laissant que le goût d'un baiser. Sa route se poursuit solitaire. Elle a soif et s'assoit à une table dressée dans le parc d'un hôtel. 

    Autour d'elle, d'autres personnes sirotent des boissons fraîches. Des hommes et des femmes en blouse blanche s'activent. Tant d'agitation parfaitement ordonnée et de propreté méticuleuse lui rappellent les jardins d'une clinique de luxe. Ses nouveaux compagnons ont un étrange accent traînant et nasillard. Soudain l'un d'eux se lève, désignant du doigt une balle de tennis qui rebondit sans bruit dans les allées du parc. Elle se rapproche du groupe, poussée par une main invisible. Une infirmière prend des notes sans s'émouvoir, et explique en peu de mots que l'expérience va commencer. La jeune fille apprend que des médecins sont parvenus à matérialiser la mort et que les patients, incrédules, ont consenti à servir de cobayes. La balle rebondit au milieu des bousculades et des cris inutiles : à chaque bond, elle touche au but. Un homme avant de s'effondrer tend la main vers les boissons comme pour prévenir d'un danger. 

    La jeune fille laisse tomber le verre de ses mains et la boisson rose se répand sur le sol. La balle l'évite et avant de disparaître absorbe sur son passage les médecins et les infirmières victimes de leur propre jeu. Ont-ils par mégarde bu une boisson interdite ou la balle mortelle a-t-elle changé la règle du jeu ? Quand elle reprend ses esprits, deux femmes vêtues de peaux de bêtes se tiennent près d'elle. Elles appellent leurs compagnes dispersées dans la forêt qui a remplacé le parc de l'hôtel. Toutes l'entourent, amicales et joyeuses mais leurs yeux troublés évitent son regard. Le bourdonnement d'une cymbale dans les bosquets rythme leur cortège qui entraîne la jeune fille jusqu'à la colline. Là est dressée une estrade sur laquelle est agenouillé un homme dénudé le visage tourné vers le soleil. Les femmes chantent des litanies et se balancent captivées par la musique lancinante. L'une d'elles portant un masque d'écorce dépose aux pieds de l'estrade un revolver d'argent. 

    L'homme alors se relève et la jeune fille à demi consciente reconnaît son guide de Venise dont le visage a perdu toute insouciance. Son regard plein de douceur s'emplit de lumière et cette clarté baigne tout son corps. Il s'est mis à danser lentement et, alors que la musique s'accélère et que les voix s'amplifient ses mouvements qui paraissent irréels fascinent la jeune fille. Elle réalise soudain ce que signifie le chant des femmes mais son esprit s'engourdit. Elle parvient à s'emparer du revolver et toute la scène flotte douloureusement. Elle pointe alors son arme d'argent face au torse du danseur et la musique vibrante à l'extrême étouffe sa détonation. Sur le côté gauche de l'homme, une blessure s'ouvre. Goutte à goutte le sang tombe sur l'estrade. A son front des perles de souffrance rougissent ses mèches blondes. Il continue sa danse de la mort, les bras écartés à hauteur des épaules, les paumes entaillées, par ses doigts crispés. Dans un dernier effort, il tourne son visage vers le soleil mais personne n'entend son ultime prière. Au moment où la musique s'éteint, il s'agenouille à nouveau sur l'estrade et sa tête glisse sur son épaule. L'écran se noircit et deux adolescents courent dans les rues de Venise, main dans la main.


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  • C'était un beau matin juste avant l'arrivée du printemps. Deux jeunes femmes se tenaient à la terrasse de café. Un chien errant se promenait sur les boulevards. Le tramway trainait sur ses rails. Pourquoi ai-je pris ce chemin ce matin d'avant le printemps ?

    Je venais de quitter l'agence de travail temporaire. J'avais déposé mon curriculum vitae et rempli une fiche d'inscription. A l'accueil, la dame a regardé mon curriculum rapidement, elle a vu tout ce que j'avais fait, à cinquante ans on a beaucoup travaillé, on a de l'expérience, c'est ce que je croyais. Elle m'a regardé et elle m'a demandé : « Vous n'avez pas rempli toutes les cases? Est-ce que vous accepteriez de travailler à l'usine ? Est-ce que vous accepteriez des missions d'une journée ? » Je l'ai regardée, j'ai coché les cases et je suis parti.

    Je me suis souvenu d'une parole de mon oncle : « Quand j'étais jeune, j'étais journalier et puis ils ont changé les lois. Je suis devenu ouvrier et j'étais fier de passer la grille tous les matins pour aller à l'usine. On travaillait quarante-huit heures par semaine et ça payait bien. » Mes vieux ils m'ont toujours dit que pour être libre, il fallait travailler.

    Il avait fait froid cet hiver, la tuyauterie avait gelé, mon chauffage avait claqué. Il avait fait sept degrés dans ma chambre, j'avais fait une bouillotte. Je m'étais souvenu des paroles de ma mère : « L'hiver cinquante-six, je me déshabillais dans la cuisine, je chauffais la bouillotte et je la déposais dans mon lit, sous l'oreiller. Et quand j'allais me coucher je la basculais au pied du lit. A cette époque, on avait l'habitude, les chambres n'étaient pas chauffées. C'était normal de pas chauffer les chambres. C'était pour faire pipi que c'était dur, avec les WC à l'extérieur. Mais le lit était chaud avec la bouillotte.»

    Partout, ils annonçaient qu'il allait y avoir des élections, enfin des élections présidentielles. J'avais feuilleté les journaux, j'avais écouté la radio, j'avais parcouru le Net. "Il paraît que la Saumure a des bordels en Belgique, il paraît qu'Ikea espionne ses employés, il paraît qu'à la Réunion les jeunes n'ont pas de travail et que la vie est chère. Il paraît qu'en Espagne, le peuple s'indigne, il paraît qu'en Grèce le peuple est fatigué de s'indigner. Il paraît qu'en Libye la révolution est finie, il paraît qu'en Syrie l'armée a pris le quartier rebelle à Homs. Il paraît que si on taxe les riches, ils vont quitter le pays. Il paraît qu'en Argentine ils ont dit non au FMI et qu'on leur a dit qu'ils allaient mettre en péril le capitalisme. Il paraît que Poutine va être réélu." Ça s'embrouillait dans ma tête toutes ces nouvelles qui ne voulaient rien dire.

    Pourquoi j'ai pris ce chemin ce matin le long des voies ferrées ? Les talus étaient gris, le soleil ne sauvait pas leur mauvaise mine. J'avais ma fiole avec moi, elle ne me quitte jamais. C'est elle qui donne de la couleur aux jours de peine. D'ailleurs quelle peine ? Peine de cœur, peine d'argent ? Peine de désir ? Oui, c'est ça, j'ai perdu le goût de vivre. Les vieilles lunes sont revenues : je n'ai pas connu de guerre, j'ai connu que celles des anciens, celles qu'ils m'ont tant de fois racontées. Celles des privations, celles de la peur des soldats et de leurs bottes. Et il y avait cet ancien déporté avec sa marque au bras, celui-là ne parlait pas, il était une ombre pâlissante. C'est un cancer qui l'a emporté. Ils ont dit : « Il faut que l'Europe soit en paix. » Le deuil est long à venir sur les charniers d'hier. Qui a bronché quand ils ont fauché les Juifs, les homosexuels, les communistes, les femmes, les enfants, les vieillards, les hommes ? Il y a toujours un homme avec son fusil, sa bonne conscience, pour en frapper un autre. "Il paraît que les pompiers ont sauvé un chevreuil sur le fleuve gelé." Mais la glace a fondu, le printemps arrive et au mois de mai...

    Après l'élite de cette fin de règne, qui va prendre sa place ? Une nouvelle élite qui n'aura au cœur que sauver ses avantages -ses privilèges ? Voilà, j'avançais le long du chemin, je ne savais pas où mes pas m'entrainaient mais je savais que je ne reviendrai pas en arrière. Hier est mort, aujourd'hui est futile, reste demain. Les lendemains qui chantent. J'étais désenchanté mais vivant, debout, et le soleil battait à ma nuque. C'est ma fiole qui m'emportera mais pas leurs nouvelles lois, pas leurs nouvelles résolutions, pas leurs nouveaux referendum, pas leur avenir sans désir. Voilà pourquoi j'ai pris ce chemin un matin d'avant le printemps.


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