• Ars - J'en peux plus, de l'air.

    Her - Oui, la terrasse et son horizon valent mieux que ce banquet interminable.

    Ars - J'en peux plus, et toutes ces vierges qu'on peut à peine regarder, avec leur nouvelle morale.

    Her - C'était couru, je l'avais portant prévenu qu'il n'avait rien à y gagner.

    Ars - Ça sert à rien de prévenir, regarde Cassandre. Mais t'as raison, on n'aurait pas dû les accepter tous. A douze on s'en sortait bien, on n'était jamais d'accord mais on était une famille !

    Her - C'était couru d'avance, on n'a pas les mêmes valeurs.  Posèd en a avalé sa fourchette quand il lui a annoncé l'arrivée des autres.

    Ars - S'il nous avait demandé notre avis.

    Her - On aurait refusé s'il avait fait un vote démocratique.

    Ars - Ses arguments sonnaient faux. Qu'on pouvait pas se passer des nouveaux venus, que l'époque voulait ça. Encore heureux qu'ils nous aient pas interdits l'hydromel.

    Her - Quoique le vin de Diony, moi je préfère. Ah les gouttes de dieu !

    Ars - Dommage qu'il ait fait alliance avec l'autre libérateur. Ça lui vaut rien toutes ces fadaises à Diony. L'amour, l'amour, l'amour. Ils ont plus que ça à la bouche. Regarde-les tous les deux, affalés sur leur couche à se demander lequel des deux est le meilleur rejeton, lequel a le père le plus puissant.

    Her - Ben, quand t'es né de la cuisse de Jupiter ou d'une Vierge. Au fait, qu'est-ce qui se passe en bas ce soir ?

    Ars - Ils ont trouvé 8 000 pièces d'or. Pour leurs insurgés.

    Her - Au moins eux, ils font leur révolution. Nous on fait quoi ? Je te dis on est devenu des falots, des finis, dépassés qu'on est.

    Ars - Disons que pour les pièces d'or, je leur ai soufflé l'idée.

    Her - Beau coup, Ars.

    Ars - Silence, en principe, j'ai pas le droit, délit d'initiés. Et ça fait partie du patrimoine, encore un truc que le vieux me pardonnerait pas.

    Mag - Eh bien, les garçons, vous avez l'air maussade. T'as perdu tes ailes, Her ?

    Her - Salut Mag. On parlait des tiens. Depuis que le boss les a acceptés à nos banquets, c'est mortel.

    Mag - Petit massage des pieds pour vous détendre ? Quoique toi Her, avec tes sandales, pas facile de te délasser.

    Ars - Non, le fils passe encore, mais le père ! Et ses inspirés qui se disputent la part du gâteau.

    Her - Forcément, à chacun il a promis le meilleur : peuple élu, dernier prophète. Même son fils il l'a mis à contribution. Dieu unique ! Quelle plaisanterie !

    Ars - Sauf pour ceux d'en-bas. Parce que le paradis sur terre, c'est bien fini. Je crois que je préfère les fêtes d'Hadès, au moins on sait à quoi s'attendre avec lui.

    Her - Et surtout, sa femme est si belle, n'est-ce pas ? Si tu crois que j'ai pas vu votre manège. Méfie-toi d'Hadès, il a l'oeil. Enfin, si je pouvais prendre ta place, une seule fois !

    Ars - Ah non, y a Sid qui se pointe, y manquait plus que lui. Salut, Sid ! Ça va ? Tu viens chercher la fraicheur sur la terrasse ?

    Sid - La fraicheur est là. Inutile de la chercher. Je la porte en moi.

    Ars - Ah oui, bien sûr, en toi. Ouf, il se tire. Parce que question jouissance éternelle, on a trouvé mieux. Merde, ça crame en-bas. Regarde là et là. Putain, cette fois-ci c'est les Grecs qui foutent la pagaille.

    Her - Ça va nous l'énerver, le vieux.

    Ars - Si au moins ça pouvait le mettre en colère, qu'on roule dans la boue son peuple.

    Her - Il bougera pas le petit doigt, ils l'ont renié. Il oublie pas.

    Ars - Ouais et nous on a récupéré le nouveau dieu et ses acolytes pour que Zeus se croit magnanime en l'acceptant aux champs élyséens. Bien fini pourtant sa toute puissance, elle a glissé à l'Est et c'est pas fini. Si encore les vierges on pouvait s'en amuser.

    Mag - Vous n'en avez pas assez de ressasser votre passé glorieux ! Vous êtes pathétiques. Regardez plus loin. Y a encore des peuples qui aspirent à vos polythéismes. Regardez. Salut Tian. Imposant non ?

    Her - Oh toi, il faut toujours que tu guettes le mâle dominant, t'es prête à te mettre à ses pieds. C’est sûr qu’avec son potentiel de pratiquants, un empire à lui tout seul, ça va les faire trembler le dieu unique et ses prophètes. Ils vont rire jaunes.

    Mag - Vous savez de quoi parlaient vos dieux ce soir ? Si vous étiez restés, vous auriez pu entendre la grande nouvelle.

    Ars - Quoi encore ?

    Mag - Ils débattent sur l'idée d'accepter dans le Panthéon les dieux de HD 69830.

    Her - Quoi ? HD comme Harley Davidson ? Si ça peut m'aider à voyager loin.

    Mag - Hoshun Dakhan. Le système stellaire de la Poupe.

    Ars - Ben voyons, y manquait plus que ça, pourquoi pas Alderaan tant qu'on y est, ou la planète foot ? Des dieux extraterrestres ! Et nous on devient quoi ? Je vous le dis on est foutu. Le temps du rêve est bien fini. Bon qu'est-ce qu'on fait, on finit la nuit chez Hadès ? Tu nous accompagnes Mag ? T'auras bien deux copines à nous présenter en bas ?


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  • Qu'est-ce qui m'a pris encore ? Elle n'est même pas jeune. Elle est... elle est. Enfin, vous voyez ce que je veux dire. Il n'y a que les connaisseurs pour sentir cela. Les autres passent, sans un regard. Trop pressés. Il faut être dilettante, comme vous et moi.

    Qu'est-ce qui m'a pris encore ? Parce que, tout bien considéré, c'est certain, mon épouse -enfin la femme qui vit avec moi depuis vingt ans- n'y trouvera rien à redire, elle haussera tout au plus les épaules, un nouveau caprice. Ma vieille maîtresse n'en saura rien, quant à elle, elle ne s'intéresse qu'à nos rencontres éphémères, à nos jeux sensuels. Non, celle qui m'inquiète, c'est Isabelle, ma troisième femme. Elle risque de me poser des questions. Je devrais lui mentir, enfin lui cacher la vérité, je déteste cela. Non, je crois que cette rencontre n'a pas de sens, une quatrième femme, non, non ! Ne lui donnons pas l'idée d'une suite, pas une once d'empreintes, de traces. Rien. De l'éphémère, de l'inaccompli. Rester en suspend, je ne vois pas d'autre issue.

    Elle vit dans une ville du Sud. Je n'aime pas le Sud, j'ai toujours préféré les hivers de glace. Dans sa robe noire, flottant sur les quais et dans les allées du parc, elle m'a accroché. Mon bras à son bras. Qu'est-ce qui m'a pris encore ? J'aurais dû passer mon chemin, tourner la page sans la lire, ne pas même imaginer qu'un nouvel amour me capture.

    Ah, j'ai prononcé le mot ? Vous êtes certain ? Non, du désir, oui, du désir. Amoureux ? J'avoue, je m'y enroule, je sombre dans cette terrible addiction. Mais voyez-vous, mon emploi du temps est déjà très chargé, le matin je délivre mes cours à l'université, je vous accorde des après-midi pour vos traductions, j'ai mes sorties nocturnes, auxquelles je ne peux renoncer, et des repas avec mes enfants. Mes rendez-vous avec Isabelle. Non, vraiment, je ne peux rien lui accorder, aucune plage de liberté. Je ne penserai pas à elle, je la pousserai dans les bras d'autres rencontres. Elle se lassera de mon manque de disponibilité. Quel amour tiendrait ? Son absence me suffira. J'en humerai la douloureuse et passionnante déchirure. Nos meilleurs souvenirs se délectent des amours inachevées. Elle me rappelle mon premier grand amour, Blandine. Il m'a détruit, savez-vous. J'ai reconstruit grain par grain, des remparts pour éviter le morcellement.

    Oublions, reprenons notre lente traduction.


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