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    Kazantzákis

    Je me suis inventée un père : il s'appelle Kazantzákis. Pourquoi dès que j'ouvre ses livres, les yeux me brûlent-ils ? Je ne suis pas une enfant de Crète. A Naxos, les prêtres catholiques ont fermé leur école. Il n'y a plus de jardins et les tavernes sont remplies de touristes. Pourquoi alors me tourmentes-tu au-delà tu temps ? Le soleil brillant lentement retourne à l'horizon. Il inonde encore la mer qui scintille, frileuse, annonçant déjà la nuit. Et moi, je pleure, parce que mon cœur déborde d'élan. Est-ce lui qui m'appelle, le Crétois, ou bien est-ce moi qui l'appelle ? Qui peut le dire ? J'ai hésité avant d'acheter « Lettre au Greco ». Je savais bien qu'en lisant le titre de loin, faisant semblant de ne pas le voir, qu’une fois encore Kazantzákis me posséderait. J'avais peur, tous ces mots qu'il crie à la face du monde. La Crète, terre rouge, terre de révolte, est son alibi. Comment retenir les larmes qui jaillissent comme la source, qui me tiennent dans leurs serres. Je me livre à l'aigle, telle l'hirondelle et accepte de gravir le mont du Golgotha à mon tour. Une femme le peut-elle ? Je voudrais le repos. Une main puissante me prend l'épaule et de force me montre Apollon brillant jusqu'à m'aveugler. Depuis que les mains rouges ont imprimé les cavernes de Lascaux, depuis que le potier a tracé à l'encre noire le premier profil du dieu, la lutte a commencé. L'homme s'élève au-dessus de la Terre, il soulève son regard et tous les jours brûle au soleil, souffre au vent. Il résiste, il refuse, mais la route continue. Toujours la vie se moque et l’entraîne sur sa pente tragique. Que croit-il gravir ? Quels monts pourraient le contenter ? Qu’elle soit sacrée ou magique, aucune montagne ne viendra à bout de son orgueil. Eh quoi ! Il croit se soulever davantage en portant d'immenses croix là-haut ? Foutaises ! La vie s'en moque. Sa route va tout droit quand celle de l'homme se perd. La vie vogue bien haut et rit des culbutes de l'humanité. Pas même, elle ne les voit pas. Elle n'a pas le temps.

    Mon dieu, l'alouette qui plonge dans son nid a-t-elle deviné que l'aigle moqueur guette ses petits ? A-t-elle deviné qu'elle s'épuise pour rien à les nourrir ? Elle tourne la tête et son œil luisant pourrait te sourire. Bien sûr, elle sait tout cela, mais elle continue son vol, d'un trait. Qui lui permettrait de se détourner ? Et même, l’aigle ne sera peut-être pas si gourmand ? Un oisillon sera épargné. Il faut poursuivre. L'alouette plonge dans le nid et du bec nourrit ses petits. Si ceux-là meurent, d'autres viendront. Elle reprendra ses vols.

    Allons toujours, il faut chercher dans la voûte bleue des réponses qui n'existent pas. Nous avons beau grimper les plus hauts sommets, aucune réponse ne teintera à nos oreilles. Le silence seul s’abat sur nous comme le rire perlée des sirènes.

    Voilà, il m'a encore sauté à la figure ou bien est-ce l'ouzo qui me tourne la tête ? Kazantzákis est un démon. A peine deux pages lues et déjà je fonds. Je retiens mes larmes comme des aveux ridicules.

    Un homme véritable ne se retourne pas pour dire adieu à ses père et mère, nous rappelle Kazantzákis . Alors je n'avais pas à me retourner quand ma mère a jeté son dernier souffle. Elle est partie sans que j'ai pu voir ou deviner son adieu. Elle m'a laissée sur le chemin sans appui. J’ai la faiblesse de croire que les nuits, en étoile brillante, elle revient parfois pour nous lier encore. Et souvent je lève les yeux vers la voûte marine pour chercher son secours ou pour la remercier. A la fois solitaire et jamais abandonnée jamais je ne pourrai lui dire : « Mère, pourquoi m'as-tu abandonnée ? » Si la blessure de sa cuisse l'a vidée silencieusement de son sang, jamais elle n'a réussi à la vider de moi. Plus faible et plus forte, l'orpheline avance parmi les hommes avec au-dessus de la tête, la petite sirène étoilée qui veille sur elle.

    Comment l'humanité, pleine de souffrances, guidée par la « constellation de l'angoisse », comme la nomme Kazantzákis , pourrait-elle parvenir à l'union des contraires ? Il faudrait plus d'amour et moins de haine. Plus de générosité et moins d'orgueil.

    Post scriptum Níkos Kazantzákis (en grec moderne : Νίκος Καζαντζάκης) ou Kazantzaki ou encore Kazantsakis, né le 18 février 1883 à Héraklion, en Crète, et mort le 26 octobre 1957 à Fribourg-en-Brisgau (Allemagne).

     


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