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    Comment je me suis réconciliée avec mon père grâce à un Allemand.

    Tout a commencé lorsque mon père, fils de ritals, ancien maquisard, ouvrier, veuf, s'est remarié. Pendant toute ma pré-adolescence et les années qui ont suivi, j'essuyais la vaisselle le soir après le repas. Ma belle-mère la lavait et profitait de ce moment pour lessiver mon père. J'écoutais sans rien dire, sans approuver mais sans désapprouver. Peut-être avais-je peur de la perdre, comme j'avais perdu ma mère lorsque j'avais deux ans et demi, et je me taisais. L'inconscient a tissé son œuvre.

    Jeune adulte, je voyageais en Grèce. Sur une île minuscule des Cyclades, la plus petite que je puisse trouver, sans touristes, sans bateau, sans meltemi, je me promenais. J'entrai dans un bar pour siroter mon café du matin, au milieu de Grecs insulaires -j'aurais dit îlotes, mais cela n'aurait pas le même sens. Quand la porte s'ouvrit.

    Un homme, grand, blond, entra en me regardant bien droit. Non, merci, laissez-moi tranquille. Il s'approcha, me parla en grec -je ne parle pas le grec-, en allemand -je ne parle pas l'allemand-, en anglais -je parle très mal l'anglais-, en français. C'était fini, la spirale s'emballait.

    Quelques heures plus tard, au bord de l'Egée et de la nuit, il m'emmena dans son bateau. Il me prépara à manger, mais il n'avait que du fromage grec et des câpres. Après ce menu repas, il détacha ma ceinture et me prit là. Mes jambes en croix, agrippée aux poutres, je laissais Christos déchirer en douceur ma chair tendue. Il flottait dans l'air des odeurs de sel et ses doigts avaient le goût des câpres. Je m'éveillais au petit matin, bercée par le roulis, protégée par ce ventre maternel, mon Allemand accroupi improvisait l'air de Papageno. Je retenais mon souffle, fermais obstinément les yeux pour m'emplir de ces impressions.

    C'est dans un caïque, au cœur de l'Egée et de la nuit, que je me suis réconciliée avec mon père. « Tu comprends, les doigts de ton père sentent l'oignon, je n'aime pas. » Je me souviens des paroles de ma belle-mère.

    Christos était de Hambourg, il vivait six mois en Grèce, à Milos, il était pêcheur et capitaine d'un caïque bleu. C'est ainsi qu'un Allemand m'a réconciliée avec mon père.


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  • Ce baiserCe baiserCe baiserTu te tenais dans la cuisine. Nous n'étions pas nus. Juste un bout de nuque. Tu t'es penché. Lentement. Au-dessus de la table qui rétrécissait entre nous. C'était tôt le matin. Le café fumait dans nos tasses. Tu t'es penché jusqu'à moi. Tu as effleuré mes lèvres. Longuement. Un long baiser de cinéma. Pas celui d'Hollywood. Ni celui de Fellini. Même pas celui d'Hitchcock. Un long baiser.
    Nos bouches se sont entrouvertes. Tu m'as soufflé tes pensées, tu m'as fait tienne. Je n'ai pas vacillé, j'ai tout pris, entre mes lèvres. J'ai reçu ton souffle sans trembler.
    Ton souffle continue quand je marche dans les rues de printemps et que le vent emporte mes pas loin de toi. Le soleil m'éblouit, un trou noir à mes yeux et j'avance aveuglée.

     


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