• Ava (suite 4)

    A un moment de leur conversation -qui était plus un monologue, seul ou presque Assane parlait-  Ava enchanteresse continuait à boire pour couler dans le désenchantement, elle désigna la paroi de verre qui séparait les deux salles et sur laquelle était incrustée l'image d'un voilier. « Vous voyez cette vitre, elle se fendille et le bateau disparaît. Pas de naufrage, il a disparu dans les entrelacs du fendillement. C'est comme ça. » A ce moment, elle se leva pour partir. Il ne pouvait pas la quitter ainsi, il savait pourtant que tout cela finirait mal mais il la suivit.

    Dans le pub, il avait beaucoup parlé de lui, de son enfance, de sa mère, Djamila, et de son père, Edmond, ancien militaire français qui avait épousé une Berbère. De retour en France, son père avait quitté l'armée. Qu'avait-il à faire dans une caserne, sans le sable et le soleil, avec les murs ? Il avait préféré quitter tout cela, les ordres inutiles, les soldats désœuvrés. Pour fuir le temps, il passait ses nuits à jouer au poker jusqu'au jour où -Assane avait alors onze ans- il perdit tout et abandonna son épouse et son fils pour oublier, effacer. Il avait fallu survivre. Assane se souvenait avoir porté pour quelques francs des pots de chrysanthème sans parfum dans les allées des cimetières. Il suivait les vieilles qui avaient assez de vie pour porter à leurs morts la mémoire des vivants mais pas assez de mémoire pour se souvenir de l'emplacement des tombes. Assane ployait derrière elles, retenant, dans le froid de novembre, entre ses bras de gamin, les pots encombrants. Djamila, sa mère, avait des dons de voyance, dans les jours les plus difficiles elle vendait ses services aux voisines reconnaissantes. Elle lisait dans les visages, elle sentait les présences, les forces du mal et du bien. Ses présages impressionnaient.

    Ava insensiblement se réchauffait au contact d'Assane, son histoire lui plaisait, elle se laissait glisser dans ses souvenirs, retrouvant par ce détour les siens propres et respirant à nouveau au cœur d'elle-même. A un moment, Assane qui se croyait vainqueur, voulut saisir l'odeur de son cou, c'est là qu'elle parla de la vitre au voilier et s'était levée sans brusquerie mais décidée. Il n'était pas question de ça entre eux. Elle avait cru un instant à sa sympathie et elle se moqua de l'orgueil qui la rendait naïve.

    suite




  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :