• CARITAS (2e Lettre)



    Deuxième lettre

    David,

    Je me souviens parfois.

    Dans l'île, je ne fais rien, j'apprends le rythme des gens d'ici. Depuis quelques jours, je partage ma chambre avec une jeune Grecque, venue de Larissa. Elle s'appelle Caritas. Elle m'est apparue avec ses sandales blanches, son jean délavé, son tee-shirt frais. Je la regarde. Elle semble calme, à l'abri des glissades de la vie, parce qu'elle a décidé de saliver chaque instant, sans partir à la poursuite des impossibles. Sa démarche de jeune chat m'a alerté. Pendant des heures longues, j'ai observé son torse rond, ses épaules étroites de jeune Amazone au repos, avant le combat qui lui donnera l'immortalité. Je gagne la mienne -mon immortalité- en l'approchant, en dévisageant son visage ouvert. Tous les rayons de lumière s'accrochent à son visage. Elle rit tout le jour, elle fume beaucoup aussi. Je bois et elle fume. Nous échangeons mes maux et ses fausses tranquillités. Elle ne parle pas anglais ou très peu. Nos journées sont de longues suites de silence. Elle boit et je fume. Cela nous suffit pour unir nos solitudes. Une nuit, j'avais beaucoup trop bu un de ces vins âpres de l'île. J'étais saoul. Elle voulut danser sur la plage désertée et je lui demandai de se dévêtir. Sans hésiter, elle se tint à quelques pas de moi pour que je puisse la voir bien, sans la toucher. D'autres couples se tenaient plus loin sur la grève, ils pouvaient nous voir, c'est certain. Je lui demandai de continuer. Elle ôta un à un ses vêtements de garçon jusqu'à la partie féminine des tissus. Elle resta dans cette tenue en dansant. Encore une fois, elle fit le geste de défaire, jusqu'à laisser découvrir sa nudité. Elle s'est mise à genou et je lui demandai de se caresser, trop saoul que j'étais pour la prendre de quelque façon, sinon avec les yeux et le nez. Elle acquiesça et s'offrit à ses doigts d'or et à mon regard, démultiplié par la présence en coin des couples gris. Elle retourna au sable quand elle attint son plaisir et se traîna jusqu'à moi pour sentir mon odeur d'homme et s'endormir. Nous nous sommes réveillés dans le petit jour de la jeune fille aux doigts d'or. Doigts d'or.

    Avec Caritas, je vis au cœur du diable. J'en jouis par incapacité à jouir autrement, dans l'harmonie du désordre, avec rage. Je suce ma Caritas et je veux engloutir son miel dans ma bouche. Pour déféquer la nourriture ancienne, pourrie, en riant avec éclat à la face d'un démon noir. 

    Je suis noir depuis le premier jour où, couché dans mon berceau, j'ai entendu les râles de l'amour dans la couche chaude des deux époux-amants, alors que moi, je n'étais que le petit tas de lange et de merde.

    Avec ma jeune Grecque, je crache, je vomis sur sa belle gueule pâle. Elle entend mes gémissements de fou. Elle ne tremble pas, elle n'a pas à parler. J'entends ses cris venus de l'horreur pour goûter à la cendre. La cendre chaude de la vie. Nous sommes les jumeaux d'un père à l'âme noire.
    Je ne veux pas que vous regrettiez mon départ. Je porte avec moi ma cicatrice, le souvenir de vous trois.

    Michael, ton frère qui vous aime
     

     

     


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