• Il me fallut plusieurs semaines pour remarquer la beauté d'Isabelle. Pourtant elle était belle : son visage, le grain de sa peau, ses mains. Je la vis si belle une nuit de septembre. Cette nuit-là nous parlions assis face à face. A aucun moment je n'avais consciemment reconnu mon désir.

     


    Ma main avait soudain tenu la sienne, ma bouche avait glissé dans son cou, sans que je me souvienne avoir désiré cela. Il avait fallu ma surprise, sa retenue, pour que les interdits n'entrent pas en jeu. Nous avions roulé sur le tapis sale et j'avais honte de la tenir sur cette crasse. Je la pris dans mes bras, j'ouvrais ses jambes avec mes jambes, elle se laissa aller sans crainte, sa respiration qui s'amplifiait au rythme de mon sexe, m'envahit et réveilla mon désir, elle jouit en vagues lentes et soudain elle se mit à pleurer.

     

     


    Après l'amour, elle se mit à évoquer ce qu'elle éprouvait pour moi. Avec une violence perverse, j'arrêtais son doux sentiment ; par des mots froids et incisifs, je la fis chuter très bas pour anéantir son amour. Y avait-il un lien entre son désir envahissant et mon retrait méprisant ? Son amour, elle, ne devait plus exister pour avoir permis à mon désir d'exister. Encore que certains jours, j'étais impuissant. Mais cela n'était que le signe supplémentaire de ma folie à ne pouvoir être dans le désir.

     

    à suivre

     


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  • La première fois qu'elle troubla ma solitude, c'était un soir de juin, tiède et bleuté. L'écho du jour passé s'affaiblissait et pour le retenir un instant, je suivais ses lignes encore claires flotter sur le parquet. J'apprivoisais le soir tombant d'un dimanche finissant. Dans la rue, les bruits étaient rares, absorbés.


    J'avais refermé mes livres, posés à plat sur le bureau ciré -seul lieu où je ne supportais pas la poussière-. Je m'approchais de la fenêtre pour voir le ciel s'éteindre avant la venue des étoiles. J'étais inquiet, sans être tendu. Je voyais le paysage des toits de la ville et des morceaux d'hier se chevaucher en ballet tremblant à chaque souffle de mon esprit calme et sans joie. Je respirais à ces moments anciens où s'accrochait l'harmonie parce qu'ils étaient passés et parce que le présent était sans couleur.


    Je m'éloignais de la fenêtre, hésitant à reprendre ma lecture, ouvrant un tiroir, me dirigeant dans une autre pièce, me ravisant et m'asseyant, les coudes appuyés sur le bord ciré du bureau, la tête entre les mains, pensif. Juste avant la nuit, je tentais d'ordonner tout cela pour en dégager des forces, des centres et un sens. Je tentais vainement de créer de ce chaos le jour nouveau. Mes pensées s'échappaient et glissaient avec la fin du jour, les souvenirs se précipitaient et je m'épuisais à me souvenir.


    Quand, à la porte d'entrée, rompant l'équilibre instable, quelqu'un sonna. Je me souvins nettement que ma bouche se crispa, déjà je m'irritai de cette intrusion. Je restai immobile dans la pièce obscure, redoutant l'autre, insistant derrière la porte. Les rêveries retombèrent au bruit que fit ma chaise comme je la reculai sur le plancher. Isabelle était là, à sourire, timide mais décidée à poser à l'intérieur son pied chaussé de noir.


     

    J'hésitais sans qu'aucun geste ne permît de déceler cette hésitation mais elle la sentit.
    J'hésitais parce que son parfum déjà pénétrait la pièce et qu'après son départ, je ne pourrais plus la chasser tout à fait.
    J'hésitais parce que je savais que demain, le souvenir de son sourire et de son parfum se mêleraient au chaos d'hier et écarteraient encore les lèvres blessées de la fêlure.
    J'hésitais parce que je ne désirais pas la présence d'une femme et je savais que le désir viendrait avec son relent de meurtrissure, qu'il viendrait trop vite, qu'il m'affaiblirait encore, moi qui ne savais comment retenir, parler, sourire, tenir la main et simplement aimer une femme, sans l'inquiétude tenace, sans l'horreur de la perte.


    Ce premier instant de faiblesse passé, je repris mon attitude détachée que provoque chez moi une femme éprise.

    (à suivre)

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p>Photo :  kyrsun.net</o:p>


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  • La musique s'écoulait par les fenêtres jusque dans le jardin. Isabelle était allongée sur une chaise longue. Sa beauté lisse était toute sa séduction. Elle ne jouait jamais avec son corps, avec ses gestes pour construire la séduction. La pureté de son visage, la couleur de ses yeux et l'exquis détachement jusqu'à la maladresse de ses mouvements étaient sa parure bien plus que les bijoux, les robes et les parfums. La beauté lui était donnée, elle n'avait jamais eu à se regarder dans un miroir pour se plaire. Son souci était ailleurs. Séduire n'était pas un jeu. Jouer non plus n'était pas un mode qu'elle déclinait. Elle était elle-même à chaque instant jusqu'à l'indécence, jusqu'à la cruauté.

    Cet après-midi, à l'ombre d'un acacia elle goûtait à la musique. Les yeux fermés, elle écoutait, et c'était une parfaite harmonie entre ses passions réfléchies dans son corps et celles éclatées de la musique.  A la tension de ses sentiments répondait celle des notes et elles s'élevaient ensemble pour la même tragédie, pour la même passion de l'intangible.  Je me tenais sur le porche et la regardais : ses lèvres muettes, son regard aveugle. Par folie, j'aurais pu tenter de l'aimer, glisser dans ses passions, m'engloutir pour rejoindre –par quel chemin ?- ses désirs, ses fantasmes enracinés dans sa mémoire. Mais par folie encore, je résistais.

     

    (à suivre)


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    Parfois, j'appelais Christine ou bien elle me téléphonait. Nous parlions longtemps, je fumais en écoutant sa voix, j'entendais son visage. Tout près, à l'autre bout. Mais nous ne parlions pas de nous rencontrer. Je l'avais quittée puis revue, incapable de l'aimer, incapable de ne plus l'aimer. Y pensant toujours, jalousant les hommes qu'elle rencontrait, la guettant parfois la nuit, quand elle rentrait chez elle. Mais elle ne me voyait pas. Elle ne sentait jamais ma présence et je lui en voulais, au fond, de ne pas comprendre. Y avait-il quelque chose à comprendre ? Enlisement. Lucidité. Musique sobre et s'échappant en notes claires et mélancoliques.


    Parfois une autre femme, beaucoup plus jeune, une enfant maladroite, rompait mon silence. Je l'avais rencontrée au hasard de mes sorties un soir de printemps. Isabelle -elle s'appelait Isabelle- avait un visage pareil à celui de l'infante dans le tableau de Vélasquez, une infante qui aurait grandi en gardant des joues rondes et un regard grave. Elle parlait très peu à chacune de ses visites et ses mots n'exprimaient rien à mon âme. Au fil des jours pourtant, alors qu'elle ne renonçait pas, un lien prit forme. Je me surpris à penser à elle quand elle n'appelait plus pendant de longues semaines. Je savais que, dans ces intervalles, Isabelle cherchait à vivre ailleurs d'autres histoires jusqu'au moment où elle capitulait et mélancolique réapparaissait, tendue vers moi, comme une enfant à qui l'on n'a jamais dit « je t'aime ». Elle m'avait si tôt avoué son amour que je ne la pris pas au sérieux et cela m'empêcha de la désirer. Elle m'irritait et m'inquiétait dès qu'elle montrait les signes convenus des amoureux.

      

    (à suivre)


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    Je regagnais aux premières lueurs du jour l'appartement que je laissais dans un état de délabrement écoeurant. Ce désordre me plaisait. Je le voyais comme un ordre nouveau. Il respirait comme je respirais à l'intérieur, pas dans les poumons mais dans la tête ou dans l'âme, à l'intérieur. Si je devais en donner une vue d'ensemble pour qu'on puisse en juger, je commencerais par les livres. Les livres tout au long des murs, en largeur, en hauteur, débordant, empilés, rangés, ployant les étagères, respirant. Les plantes : vertes, atteintes de gigantisme. Leurs feuilles larges et charnues, immenses comme les plantes d'une serre. Des plantes vivantes, monstrueuses et splendides. Les pots étaient prêts à basculer sous la lourdeur des feuillages. Je ne ramassais plus les feuilles qui tombaient, je rempotais parfois une plante au hasard. Les feuilles et la terre jonchaient le plancher nu. La musique, troisième élément majeur de cet univers. La musique assurait la mélodie de ce désordre, la musique de Bach. Les objets, les meubles, les tableaux, achetés au hasard de désirs anciens, étaient posés çà et là, rangés au gré de l'encombrement. Ils ternissaient sous la poussière et le manque de soin. Je les délaissais. Ils n'existaient pas. Ustensiles. Pourtant je les avais aimés, autrefois. Parfois, je voyais l'un d'entre eux et je pleurais doucement.

    Ici, en Afrique, je prends la démarche des Africains. Je n'ai plus de livres.

    Certaines semaines -sinon la contrainte du travail- je ne sortais pas, ne voyais personne. Je prétextais des travaux d'importance qui mobilisaient toute mon énergie. Vitale. Plus de sorties nocturnes, il m'arrivait de débrancher le téléphone. Je travaillais avec urgence à un recueil d'aphorismes. Je prenais des notes en marge de mes livres, j'en ouvrais plusieurs et ils traînaient un peu partout, dans le salon et la pièce qui me servait de bureau. La chambre parfois mais je n'y travaillais pas. La cuisine et la salle de bain étaient incroyablement sales et encombrées. Tout au long de la baignoire s'empilaient des mégots jaunis qui prenaient l'allure de cafards morts. Délabrement. Je ne voyais rien de cela ou, si je le voyais, j'en avais honte soudainement et passagèrement. De toute façon je n'avais ni la force ni le goût pour changer tout cela. Il m'aurait fallu une volonté et un désir que je n'avais pas ou que je détournais pour d'autres tâches. Mais ces tâches m'accablaient, l'idée de ces tâches surtout. Mes aphorismes pendant longtemps se résumèrent à dix phrases superbes, glacées, lieu de vérité, mais dix phrases.<o:p> </o:p>Dans ces pièces, je tentais aussi d'écrire une pièce, je m'acharnais à un texte. Seulement : Lui, Elle, et puis l'ange ou l'étranger. Lui et Elle m'avaient échappé, je n'avais pas eu l'idée d'en parler, ils étaient venus là sans que je sache très bien comment. Ils étaient nés au milieu de ça, comme des fleurs écloses dans un champ d'orties. Ils parlaient d'aimer, de leurs lèvres.

     

    à suivre


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