• Hélène à Nauplie

     

    Balançoire dans le Péloponnèse

    Aujourd'hui le Péloponnèse. J'y ai croisé une Hélène précoce. Sur une place dallée de Nauplie, elle promenait sa jupe plissée à carreaux écossais. Elle pouvait avoir au moins trois ans. Bien que les tavernes allongeassent leur terrasses tout autour, la place était plutôt calme : nous sommes en Grèce et après que le soleil éblouissant se soit retiré, les Grecs oubliant la chaleur du jour, reprennent leurs principales activités : lire les journaux, boire un frappé et bavarder avec les amis de toujours.

    C'est donc dans cette douce quiétude que la petite apparut. Elle avait derrière elle deux prétendants l'un en culottes courtes, l'autre arborant des pantalons bouffants, rose indien. La petite Hélène -la destinée l'avait déjà touchée- avait porté sa préférence sur celui aux jambes couvertes. L'autre assistait plutôt qu'il participait. Bref, je regarde ce trio enfantin, l’œil humide, le sourire aux lèvres émue par leurs jeux innocents.

    Hélas, la petite se transforma en chipie sans qu'on sut très bien les motifs d'un tel changement. Est-ce la lune qui à cet instant se levait et soupirait jusqu'à terre ou simplement un insecte buveur de sang qui piqua l'heureuse enfant ? Ou bien encore une pensée née de la rencontre néfaste de deux électrons parasites ? L'histoire ne saurait le dire. Pourtant ce qui est sûr, c'est le geste prompt et énergique qui soudain poussa le malheureux prétendant. La chipie des deux mains presse sur les épaules et le jeune enfant, non encore parvenu à l'éphèbe, aux jambes en cerceaux, fléchit de tout son poids, arrête ses fesses grossies par les couches sur le sol dallé.

    Un temps où rien ne se passa suivit cette chute lourde. L'autre prétendant, impressionné, regardait son rival en si mal posture. La chipie, toujours debout, bien que chancelante après l'effort qu'elle avait fourni, restait perplexe. Comment, par une simple poussée, avait-elle pu détruire l'équilibre vertical du bambin ? Elle hésitait entre le mépris et le rire puis préféra relever celui qu'elle venait de bafouer, ne supportant pas qu'elle puisse s'attacher à un si piètre amoureux. Des deux mains, elle accrocha la chemisette blanche de l'autre toujours assis. Il faut dire, pour que la scène soit bien décrite, que le pauvre avait chu sans retenue, sans un soupir non plus, comprenant mal l’acte, et resta flegmatique. Tout le désarroi de l'humanité masculine face à l'incohérence féminine se reflétait dans sa bouche dodue. Bref, il attendait la suite, certain qu'elle serait dure.

    Et voilà que la belle Hélène aux tresses noires avance ses mains vers lui et l'attrape par les épaules pour l'aider à redresser son corps affalé. Vraiment, il ne s'attendait pas à cette commisération et incapable d'aucun mouvement il attend qu'elle le relève. Ho hisse ! Une fois ! Deux fois ! Hélène manque de force et son prétendant reste là assis. A ce moment en suspens, la mère surgit et rectifie l'équilibre de son petit, le redresse de toute sa taille, le porte contre sa poitrine et son ventre, l'encense et le rassure. La belle Hélène qui a perdu son premier amoureux, reçoit une verte réprimande.

    Le bambin, protégé par les bras maternels, poursuit sa réflexion et pense que les femmes ne sont possibles que lorsqu'elles sont mères. Mais là encore il doute et n'aura de cesse de retrouver la ferme volonté d'une petit Hélène qui le balance par terre et tente de le relever ensuite : quelle douceur, pense-t-il, de s'abandonner ainsi aux fantasques mouvements des femmes.

    Qu'est devenu le second prétendant ? L'histoire ne le dit pas. Parions que la belle Hélène, oublieuse l'aura laissé là sur la place, car après tout, il lui fallait un spectateur et un acteur pour jouer sa scène. Le spectacle terminé, elle s'est promenée jusqu'au bout de la place et là s'est assise sur une balançoire abandonnée. A cette heure-ci, elle se balance encore et personne ne connaît ses rêves quand elle soulève ses jambes bien haut vers le ciel étoilé de la Grèce.

     


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