• Où est l'homme ?

     

    Ondine sort de l'eau ; sur la plage un homme est assis (même pose que le penseur de Rodin).

    Ondine - Bonjour, que faites-vous sur la plage ?

    Le pêcheur - Mon fils aîné a été pris dans la tempête il y a douze jours. J'ai retrouvé son corps brisé sur les écueils. Je reste seul à nourrir ma famille et la sienne. J'ai dénoué les mailles de mon filet de pêche mais il est trop fragile. Je songe à en tisser un plus solide.
    Ondine rencontre un deuxième homme qui dessine avec un bâton dans le sable.

    Ondine - Bonjour, que dessinez-vous sur le sable ?

    L'inventeur - Je regarde les oiseaux, là-bas, les mouettes et les cormorans au-dessus des rochers sombres. Je voudrais assembler des ailes et les lier sur mes épaules pour quitter cette île où je croupis.

    Ondine - Où irez-vous ?

    L'inventeur - Comment voulez-vous que je sache ? Je ne connais que mon île. J'irai dans les pays de l'eau illimitée.
    Ondine rencontre une femme qui regarde le ciel à l'horizon en soupirant.

    Ondine - Pourquoi soupirez-vous ?

    La mère - J'attends l'étoile du soir qui me rendra mon enfant. Depuis neuf jours, j'erre dans les terres à sa recherche. J'ai mangé la terre, j'ai hurlé à la lune, j'ai arraché mes cheveux, j'ai griffé mes joues. Mais ma fille n'est pas revenue. Les grains de blé ont noirci, le lait de la brebis s'est tari. Durant mon voyage nocturne, en direction des ténèbres du Nord, des étrangers m'ont chuchoté doucement à l'oreille le don de la compassion, de l'espoir lorsque tout est sombre, et de la patience lorsque tout est en attente.
    Ondine s'approche d'un quatrième personnage, qui arpente à grands pas la plage.

    Ondine - Bonjour, pourquoi marchez-vous à grands pas sur la plage ?

    Le philosophe - Je compte, je décompte, j'entreprends. Hier, j'ai énoncé le premier théorème. Aujourd'hui, je dis que l'eau donne naissance à tous les éléments. Demain je crierai : les dieux sont morts ! Unissons-nous pour tuer le dernier de leurs fils ! J'ai pensé que le monde pourrait aller loin si vous écoutez ce que je dis.

    La mère - Qui nous lavera de ce sacrifice sanglant ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Qui peut savoir si c'est un dieu ou le fils d'un homme ? Qui guérira la douleur d'une mère ? Mais ne les laissez pas enlever nos enfants. N'écoutez pas ce qu'il dit.

    Le pêcheur - Sur cette terre, qu'y a-t-il de meilleur ? C'est notre progéniture que nous devons sauver.

    Le philosophe - C'est la terre que nous devons sauver. Nous sommes seuls.

    L'inventeur - Nous ne la sauverons pas toujours, il faudra la quitter un jour, comme l'enfant quitte les bras de sa mère.

    Ondine - Je ne connais que les eaux du commencement. Que se passe-t-il sur terre ?

    Le philosophe - Quel commencement ? Y aurait-il une fin ?

    L'inventeur - Sur terre, passe le temps.

    La mère - Les hommes font la guerre.

    Le pêcheur - Les hommes cherchent leur nourriture.

    L'inventeur - Les hommes comptent les étoiles. Un jour, l'homme retournera sur la lune.

    Le philosophe - Les hommes ont découvert la mort.

    Ondine - Moi aussi, je connais la mort. L'écume nous emporte.

    La mère - Je sais que lorsque l'épi est mûr, il faut le moissonner pour que le pain soit coupé. Je sais que la vie a besoin de la mort. Laissez la fin du temps en suspens.

    L'inventeur - Et la musique ? Il y a la musique.

    Le philosophe - Et les mots, il y a les mots.

    Le pêcheur - Et la mer ? Il y a la mer.

    La mère - Et l'amour, il y a l'amour.


    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p>à suivre...
    </o:p><o:p>Photo : Yves-Marie Jacob</o:p>


  • Commentaires

    1
    Dimanche 18 Novembre 2007 à 19:33
    Je découvre...
    ...et j'apprécie ce texte, ainsi que quelques autres que je viens de parcourir. Agréables.
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