• Parution, 2023, Huitains, 2
    poésie à deux voix, Robert Alexis et Corinne Jeanson Valleggia

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    Extrait
    Robert

    Coup de sifflet sur le quai,
    C’est l’heure du départ.
    La voiture bouge
    Défilent des scènes au ralenti,
    Puis la vitesse augment
    Comme montent en pensées
    Mille images à demi effacées.
    Du monde je me dissocie.

     

    Corinne

    La sonnerie dans la gare
    Annonce l'arrivée d'un train.
    Je pose le pied sur le rail.
    J'envisage de poser un pied,
    Il reste en suspens dans le vide.
    J'entends les pleurs d'un enfant.
    La vie commence par des pleurs,
    Je choisis une voie ouverte.

     

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    Impressionnez-moi

     

    Je vais peindre aujourd'hui, la lumière est superbe. Je cherche mes mots, mon cher, car c'est bien à partir de cet instant que le monde s'est impressionné. A cause de ce tableau aux reflets impressionnants. Le monde des formes. Parfois la couleur étalée sur la toile est plus importante que la peinture elle-même. La façon dont vous lancez votre pinceau. Avec un couteau, cette sensation est encore plus intense : vous modelez, vous projetez, vous étalez, vous écaillez, vous éclatez la pâte huileuse sur le grain poreux. De vos entrailles à la main, c'est le même souffle qui respire. Le ciel d'orage n'exprime pas davantage d'énergie qu'à ce moment-là où votre corps disparaît tout entier dans la toile qui vous absorbe. Vous vous aplatissez contre les griffes de sa trame. Et le vent qui précède l’éclair vous arrache des cris de douleur. Votre paume exhale les parfums de la terre à tant compresser les couleurs. Ce n'est pas seulement l'espace que vous comprimez sur votre palette mais le temps aussi. Il m'est arrivé de laisser fondre des pastilles blanches sous ma langue. Cette sensation effrayante de briser le temps, de devenir le temps. Ce point de lumière qui éclaire tout à coup un visage et que vous avez placé bien haut sur les pommettes. Donnez-moi la peinture. Que diable tout cela. Vous entendez, c'est l'orage qui revient. Sortons, je veux la pluie je veux cette énergie monstrueuse, que la terre éclate sur nos têtes, que nos pas craquent prodigieusement. Que nous soyons impressionnés avant le retour des étoiles.

     


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    - Bénissez-moi mon père, parce que j'ai péché.
    - Eh bien, parlez-moi de vos parents.
    - Ma mère est vierge.
    - Oui. Votre mère est vierge. Et votre père ?
    - Mon père est aux cieux. Il m'a abandonné.
    - Au cieux. Abandonné. Oui. Je vois, oui. Poursuivez.
    - J'ai fait un rêve cette nuit.
    - Très bien. Vous pouvez le raconter ?
    - J'étais avec Marie-Madeleine. Elle était à mes genoux. Elle me suppliait de lui donner le corps du Christ. Moi je ne savais pas, je voulais juste finir mon verre de vin. Mais elle a continué à me supplier.
    - Et ensuite.
    - Ensuite, je lui ai donné un bout de pain. Après, je ne sais pas ce qui est arrivé. Je crois qu'elle m'avait attachée, j'avais les bras en croix.
    - En croix ? Oui. Qu'avez-vous fait ?
    - Eh bien, je ne pouvais plus bouger. Et pourtant...
    - Pourtant ?
    - Je me sentais bien. Comme si mon corps ne m'appartenait plus. J'étais en apesanteur. Je ne souffrais plus.
    - Ah ? C'est bien ça. Avant vous aviez le sentiment de souffrir ?
    - Souffrir ? Non.
    - Mais vous avez dit  : je ne souffrais plus.
    - Oui. C'est vrai. Ce n'était pas mon corps qui souffrait. C'était dans mon ventre, enfin dans ma tête. Quelque chose de lourd à porter.
    - Très bien. Et là vous ne portiez plus rien.
    - J'étais très dénudé. Devant Marie-Madeleine. C'était troublant. Mais je ne pouvais rien faire. Et là elle a pris, elle a pris...
    - Oui ? Elle a pris.
    - Eh bien, vous comprenez. Mes pieds, elle a pleuré à mes pieds, avant, et ensuite, elle a, elle a...
    - Poursuivez.
    - Elle m'a donné du plaisir. Vous savez, ce que font les femmes. J'ai cessé d'être le fils d'un dieu. Je suis devenu le fils de l'homme. Pourtant c'était divin.

     

    Illust :
    Rubens, Le Christ en croix

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  • Le temps qui passe

     

     

     

     

     

     

     

     

    Yvonne,
    Pourquoi m'as-tu adressé toutes ces lettres ? Tu as attendu trop longtemps. Depuis ton départ je me suis grisé à tant d'autres vies, à tant de goulots, aux enfers aussi. Le temps a passé. Il fallait bien passer le temps, ce faux guérisseur, rompre les espaces éternels. Comment pourrais-je aujourd'hui écouter tes lettres ? Entendre le bruit froissé de leur papier entre mes doigts qui tremblent.  Ecoute mon cœur, il se brise, il est en verre blanc. Ne me donne plus à lire tes lettres, elles me font trop mal aux yeux, aux joues, à la bouche, aux tripes, aux genoux, mes pieds fuient sur le sol qui se dérobe. Cette dernière rue où nous avons marché main dans la main, ce dernier matin où nous avons perdu notre langage. Oh Yvonne, qu'avons-nous fait de nos vies l'un sans l'autre ? Le jardin est dévasté, tu ne le reconnaîtrais plus. Tes lettres me sont venues trop tard. Et je suppose que tu ne m'en écriras plus maintenant, trop d'étoiles ont cessé de briller depuis ton départ. Dis-moi. Ma voix s'est éteinte. Je t'ai perdue, mon âme est perdue. J'ai peur.

    Ton vieil époux

    Ps Je prie pour que tu reviennes, ne serait-ce qu'un jour...

    d'après Malcolm Lowry - Au dessous du volcan


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  • La liberté et la mort ? La liberté et la mort

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Je ne comprends pas. Mon père est italien, rital comme ils disent. Ma mère était de la Yaute, entendez la Haute-Savoie. Qu'est-ce qui m'entraînait sur les routes de Grèce, avec Alexandre en cortège dionysiaque ? J'aurais dû préférer la divine Italie et ses Roméo.

    « Ce pays imaginaire te relie à ta mère, » me susurrait un ami psychologue, qui me faisait penser, avec sa silhouette tremblotante, son front dégarni et ses mains baladeuses, à Woody Allen. Je doutais de ses propos. Quelle idée saugrenue et pourtant.

    Pourtant. Bien plus tard, j'appris l'impossible : mon grand-père maternel, Joseph, le Haut-savoyard, du temps de la grande guerre, avait connu les montagnes de Macédoine et même y avait été blessé de guerre. Quoi, c'était donc ça mon hystérie alexandrine, pardon mon obsession ?

    Assez de ces souvenirs antiques, regardons le présent. Kazantzákis, La liberté ou la mort. J'avais choisi de relire Nikos le Crétois, sur cette place d'Heraklion. J'avais choisi la liberté, quand un Grec me murmura dans son superbe accent :  « La liberté ET la mort. » Je regardais la couverture de mon livre. Les traducteurs prennent parfois de telle liberté !

    Je m'abandonnais à la Grèce, pardon à un Grec, pour lutter contre l'abandon.

     


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