Par Corinne Valleggia
Je crois que nous sommes dans un jour faste, monsieur. Là, dans ce café. "Hep Lucien, la même chose !" Il faut fêter ça. J'imagine déjà notre tour de France. Un compagnonnage. Fiez-vous à moi. Ah oui, nous parlions de Blandine. Hélas, Blandine était folle. Voilà la raison de mon amour fou pour elle. Vous savez, vous avez tenu une fois l'objet de votre désir, la plupart du temps il s'effrite. Une caresse, un baiser, vous jouissez et plus rien. Ce n'est pas que les femmes soient des objets. Mais vous conviendrez qu'il ne faut pas confondre désir et amour. Une femme vous plaît. Cela signifie-t-il qu’elle puisse s'accorder à votre humeur ?
Donc Blandine me plaisait, mais à ce stade, je vous l'ai expliqué, je n'étais pas amoureux. Elle, l'était déjà. Vous pensez que j'exagère. Ne niez pas, je l'ai vu ce sourire dans ce coin de ride. Vous devez vous souvenir d'un détail important : Blandine était jeune. Jeune et d'un grand idéalisme, cet idéalisme qui vous empêche d'être lucide. Rien de pire pour une jeune femme que de ne pas être lucide. Rien de pire pour une jeune femme que d'être idéaliste. Blandine était à un stade critique : elle confondit émoi avec amour. En quelques jours, que dis-je, en quelques heures, elle était soumise... Quoi ? Vous me traitez de profiteur ? Oublions cela. Je ne profitais pas de Blandine. Cette petite n'était pas soumise à moi mais à son soudain désir de l'amour. Savez-vous ce qu'est que cette tension ? Aimer, c'est s'oublier, se donner et Blandine éprouvait l'étrange et cruel antagonisme commun à cet âge : s'appartenir en appartenant à un autre.
Ah oui je vous parlais des lois de l'amour. L'amour est un code et qui sait le décrypter est enfant d'Eros. L'amour. Qui mieux que Botticelli l'a peint. Regardez Aphrodite redressant son visage quand Arès s'alanguit. Oui oui Vénus et Mars, mais vous connaissez mon aversion pour la romaine mythologie. Quelle volupté dans l'homme et quelle dignité, quelle retenue dans le corps de la déesse. Dans cette guerre, le guerrier est le mal armé. C'est Salomon aux pieds de sa reine de Saba. C'est Marc Antoine aux pieds de Cléopâtre. C'est Bonaparte aux pieds de Joséphine. L'art d'aimer est un jeu cruel que l'homme de guerre manie avec maladresse. Quoi de plus subtil que l'amour. Et je n’exagère rien.
Pour moi, quand je suis amoureux, mes facultés sont décuplées. Je veux dire d'attention, d'écoute, de patience. Mon esprit s'éveille à ce souffle et jamais encore je n'ai mieux appris que dans ces moments-là. La nature humaine se liquéfie entre mes doigts et je n'ai plus besoin de philosophe, de yogi ou d'autre mage. L'amour par sa propre magie unit toutes les énergies.
Phéromone, vous dites ? Dopamine ? Certes, chimie des âmes. Quoique je préfère la physique, si vous me permettez ce raccourci quantique. L'amour quantique des quantiques.
(à suivre)
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