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Le départ du bateau

Le départ du bateu

Je me sens bien ce soir. Je regarde autour de moi l'agitation sereine.

Dans la rade -peut-on parler de port ?- le bateau plein de lumière s'apprête au départ. Ses cales sont bondées de camionnettes, où s'empilent, incroyables, des cagettes vides, prêtes à basculer sur les motocycles, les cages de poules, les ballots. Sur les ponts de bois, les Grecs mêlés aux touristes attendent la sirène du départ. Mais le capitaine n'est pas pressé. Il serre contre lui son carnet noir et regarde le disque rouge glisser par-dessus le faîte des monts. Il ne partira pas avant que la montagne n'ait avalé le dieu. Il a tout le temps pour sonner l'heure où l’on remontera l'ancre. La chaîne frottera au flanc du bateau et, lourde, humide, reprendra place contre la coque trop tendre par son fer usée.

Autour de moi, les tables des tavernes déversent leurs vins, leurs cafés et partout viennent des odeurs de viande grillée. Les hécatombes sont prêtes pour les dieux. Je voudrais être aussi astucieuse qu'Ulysse et formuler un vœu entendu par les dieux.

Mais Athéna dort en Olympe. Sa chevelure déroulée s'étale sur les toisons bouclés des moutons sacrés. Elle a déposé contre le marbre de sa demeure son bouclier et sa lance pointue. Apollon a recouvert sa nudité et frileux préfère la chaleur des charbons ardents à la douce musique de sa lyre. Dionysos oublié ne s'est pas encore révolté. Il apparaît dans une nuée, regrettant amèrement le vin doux de sa jeunesse. Quand la terre, jeune fille, l'accueillera-t-elle de nouveau pour fêter sa dernière naissance ? Les dieux auraient-il jugé que nous n'avons plus besoin d'eux pour régler nos amours et nos querelles ? Ou bien sont-ils devenus impuissants ? Jaloux de nos pouvoirs démesurés, ils refusent, désormais d'apporter leurs fronts lisses et restent cachés dans l'éther que les astronomes attaquent de leurs yeux pénétrants. Attendre, attendre qu'Athéna s'éveille, qu'Apollon s''échauffe à nouveau, que Dionysos renaisse. Le temps suspendu.

Le capitaine a levé la main
pour annonce le départ et le premier pilote baisse la manette. Quand la nuit tombe, sur la mer déjà noire, le bateau s''écarte des lumières de la côte et rejoint l'horizon brumeuse. La sirène retentit, le capitaine a tenu jusqu'au bout son bateau et ne sera parti qu’après le plongeon silencieux du soleil.

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