• Le Prince


    Le prince
    C’est toi mon ami ? Ne me cherche plus, je me repose ici. J’aime parfois dormir à la proue et entendre les bâches résonner sous les paquets de mer. J’aime entendre la voix franche des marins plaisantant et buvant leurs rasades. Vivre ainsi me convient, gai, un peu débraillé. Je redoute le retour près de ma mère, dans mon royaume.
    Borée
    Les côtes approchent, prince. Vous devriez rejoindre votre cabine et changer vos vêtements. La cour vous attendra dès votre arrivée au port.
    Le prince
    Hélas, dans quelques heures je serai à nouveau dans l’ombre chancelante de cette grande salle aux dalles luisantes qui soupirent sous les pas des autres princes marchant depuis le passé. Chut ! J’entends leurs pas. Ils arrivent deux par deux, bottés, la tête couronnée de laurier gagné au cours des batailles menées au creux des vallées. Je les entends parler en brave, avec ces accents graves des gens qui ont agi. Et voilà aussi, le jeune prince, mon lointain cousin, tourmenteur de la belle noyée. Je le vois, si loin devant.
    Borée
    Vous devez être fatigué, après cette nuit de tempête et le naufrage.
    Le prince
    Quoi, toi aussi tu t’alarmes ? Parce qu’un prince a glissé par-dessus bord, tu t’inquiètes. S’inquiète-t-on quand c’est un vieillard inconnu qu’on jette dans l’océan ? Ce naufrage m’aura permis de connaître une île délicieuse et d’être éveillé par de charmantes jeunes filles. Et votre voilier ne m’a-t-il pas trouvé sur cette plage pour que je suive mon destin sans retard ? Cette mort-là m’aurait été bien douce, je serais mort en héros, ou presque, en tout cas on l’aurait fait croire à mon peuple. Et je serais pleuré, jeune mort sur le chemin de la gloire. Au lieu de ça, je retrouve les jours gris. Mon propre navire, dit-on, a fini sa route et se trouve à bon port. Mes compagnons sont sains et saufs. Aucune errance ne m’est promise. De ce voyage, je ne garde d’heureux que notre rencontre. Ce n’est pas seulement l’heureuse arrivée de ton voilier sur cette plage, c’est ta présence en contretemps de ces jours où la raison m'installe dans le palais de mes pères pour y régner désormais.
    Borée
    Que reproches-tu à ton destin ? N’est-ce pas envieux d’être prince ?
    Le prince
    Je n’ai ni les privilèges de mes ancêtres, ni leurs douleurs extrêmes, ni leurs passions dévastatrices. Mon costume d’homme moderne me pèse bien plus que leurs cotes d’acier ? Je n’ais pas non plus leurs doutes superbes et leur détresse fatale.

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :