• Lundi de Pâques

    J'étais assis dans une brasserie désertée, face à la gare d'une ville de province, sur les bords d'un fleuve. J'attendais un train en partance pour la capitale. Le temps s'écoulait, les ombres s'allongeaient. J'entendais le crissement des premiers martinets, les annonceurs de l'été à venir. Mon café se refroidissait. Elle entra, furtivement, regarda les tables désertes et s'assit si proche de moi que j'aurais pu la toucher. Si lointaine. Je voyais son profil, sa chevelure nouée sur sa nuque, sa robe enveloppait son corps de jeune femme, une courbe blanche apparaissait par fragment lumineux. Je buvais mon café, pour me donner une contenance, sans jamais cesser de l'observer. De son sac fleuri, elle sortit un petit livre qu'elle posa devant elle. Elle passait lentement l'ongle de son pouce à sa bouche sensuelle sans être gourmande. Elle ne parvenait pas à se concentrer, sans cesse son regard se relevait, guettait la porte qui ne s'ouvrait pas. Elle appuya ses coudes sur la table carrée et releva ses mains sous son menton. Je regardais le mouvement de repli qu'elle avait donné à ses mains, qui formaient, ainsi ployées, comme un cercle dont les doigts auraient été les rayons. Son regard était voilé, elle semblait ne voir que la lumière au dedans d'elle. Et la porte s'ouvrit. Il entra.

    Elle se leva, avec une lenteur d'animal blessé. Il était debout devant elle et l'espace entre eux se resserra. En l'étreignant, il avait dénoué les cheveux de la jeune femme qui habillaient son dos d'ondulations hésitantes, en écho aux palpitations de sa poitrine. Elle avait passé ses mains autour des épaules du jeune homme et les croisaient, en prière. La main droite de l'homme entourait son cou, sa main gauche avait glissé à l'ombre chaude de la longue chevelure détachée. Elle tendait son visage jusqu'à lui et fermait les yeux. Celui de l'homme s'abaissait, protecteur ou conquérant. Je voyais sa pupille dilatée qui vacillait entre désir et incertitude. Leurs joues se joignaient, leurs bouches respiraient leur souffle silencieux.

    S'étaient-ils quitté à l'aube, après une nuit d'amour, ou bien avait-il fait un long voyage et revenait-il enfin auprès d'elle ?

    J'avais terminé mon café, l'heure de mon train était venue, je sortis de la brasserie, en titubant presque lorsque je faillis toucher le couple, ignorant ma présence. Le garçon soupira : "Alors les amoureux, croyez-vous que l'amour dure toujours ? Je vous sers quoi ?"

    L'instant magique s'était enfui mais encore aujourd'hui, dans mon atelier, je songe à cette vision et mes pinceaux maladroits tentent de retrouver leur étreinte éternelle.

     


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