• A qui écrire cette lettre sinon à toi. Il y a le drap, son étendue, sa douce chaleur. Le silence de la nuit, de ma nuit. La ligne bleue sous les lettres posées.

    J'ai le dos courbatu par ton attente. La pesanteur dans tous mes membres, la peau chaude, brûlante, épuisée. Le souffle coupé et les yeux lourds d'une fatigue sans objet. Au dehors, la souffrance du corps. Au-dedans, le silence quand les corps, juste avant l'abandon ultime, retiennent leurs émois pour le goûter, en ondes perlées. La bouche ou la paume, là où elles frôlent la peau, frémissent et répandent le lourd parfum du désir.

    Je n'ai pas encore connu ton étreinte, ni celle de tes bras, ni celle de tes jambes. Je n'ai pas encore goûté à tes parfums, ni à celui de ta nuque bouclée, ni à celui de ta savoureuse aine. J'accroche à mes nuits l'écho de tes regards, les auras de nos corps. La flèche oblique d'un dieu ou d'un démon a planté dans mon cœur ton désir qui m'essouffle. Je m'étends nue sur le marbre des halls, pour ne plus connaître la fièvre qui transforme cette flèche en une multitude d'épines. Elles effleurent ma peau pour lui imprimer ton absence ou projeter ta présence imaginée.

    Les heures douces du souvenir s'étendent sur l'onde de la peau comme le soir sur le lac aux nénuphars. Le souvenir a son parfum et ses bruits assourdis. L'amour passé reste l'amour, bien qu'on n'ose plus tout à fait le nommer ainsi à force d'usure. Le souvenir est une île solitaire que parcourt l'océan insatiable des jours gris pour l'émietter tout à fait.

    J'aime l'orage et le grondement du tonnerre qui emplissent mon espace. Dans ce moment qui pourrait être menaçant, cette présence suffit à estomper tous mes désarrois. Si je pleure sous la pluie battante, c'est parce que, comme le ciel, je me libère enfin de la pesanteur des jours sans noms.


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  • La vie est emplie de bars, noirs, bruyants, recouvrant le silence de l'âme devant le café noir, écorné de sucre, mangé par les cafards ricanants avec leurs pattes aiguës sur le dos souffrant. Un juke-box pleure des morceaux dérisoires pour éviter l'oubli de la mer montante au-dessus du marbre.


    Les  dieux, ambroisie et délices finis, affectent l'indifférence face à la foule des petits matins enroués. Le chanteur emplit les rues désertes à la recherche du pire qui se larve dans les égouts, dans les chaumières vétustes, dans l'humide traverse. De toute part, épris de sa voix salutaire, les agonisants surgissent, à la peau grise, les oubliés de l'heureuse félicité. Dociles, ils suivent en masse le chanteur jusqu'au tréfonds de la ville, par-dessus l'écho de la beauté suprême interdite, interdite à ce monde d'intouchables. Posant sur l'asphalte leurs pattes roses sous le poil gris, en silence pour ne pas effrayer le passant tranquille, ils quittent la ville. Traqués, ils suivent la voix affamée de leur perte.

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  • Ma famille habite de l'autre côté de la rue. Quand je traverse la rue je croise des passantes. Pour les amuser, j'invente des mots, des histoires, des sentiments. Je les entraîne dans le petit bois du jardin public pour glisser mes mains dans leurs rêves mouillés.

    L
    orsque la nuit tombe sur le jardin inhabité, j'oublie les passantes et mes histoires de montreur de singes. Je traverse la rue dans l'autre sens pour rejoindre ma famille.

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