• « Le paradoxe de l'analyse : avec du faux on fait du vrai. » Lacan

    Ses yeux convaincus ont envie de le convaincre, lui qu'elle ne voit pas, immobile, dans son dos. Il laisse aller cette amoureuse au plaisir de lui parler, lui qui l'écoute à peine, lui donne la saveur lointaine de lui et se garde bien de s'approcher d'elle, de lui donner à voir la lourdeur de ses pensées, la légèreté de ses émotions. Elle tombe en amour et lui tout entier se retient d'un geste. L'illusion de l'amour sans cesse reportée est plus paisible qu'une vraie rencontre où l'un et l'autre livreraient leurs combats.


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  • Le train.
    Dans chaque tour de roue, ton visage incrusté comme dans les vieux films américains.
    Le train.
    Le petit pied en bottine d'Anna Karénine descendant la dernière marche.
    Le train.
    Les visages meurtris des peuples en départ pour les champs barbelés.
    Le train.

    Bonjour, je suis content que tu sois revenu. La dernière fois, tu n'es pas resté longtemps. Mon père a télégraphié, il viendra me chercher la semaine prochaine. Il m'emmène avec lui au Canada. Je ne connais pas le Canada. Lui, il habite là-bas. C'est lui qui m'a donné ce vélo. Il a demandé à la dame du bureau de l'acheter pour moi, et moi j'ai choisi la couleur. Bleu comme le ciel où elle dort maintenant. Elle ne pleure plus là-bas parce qu'il y a plein d'anges qui l'entourent. Ici, elle avait trop peur. Fais voir tes mains, elles sont grandes, si longues. Qu'est-ce que tu fais avec elles ? Tes ongles sont doux. J'aimais bien caresser ses mains à elle, elle avait des ongles tout petits et roses comme des bonbons, je les léchais et elle riait, ça suffisait à la rendre gaie. Souvent elle me serrait dans ses bras très très fort et elle pleurait, longtemps. Je cachais ma tête dans ses genoux parfumés. Je la regardais, moi je ne pleurais pas. Je n'avais pas mal. Je me taisais et elle me serrait très fort dans ses bras.

    Un soir, dans l'entrée, ça sentait la vanille. Maman avait préparé un flan, c'était sûrement cela. Tous ces jours-ci j'avais marché lentement sur le trajet de l'école pour revenir à la maison. J'attendais qu'elle vienne me chercher. Mais elle disait toujours : «Je n'ai pas le temps ce soir, Simon, demain peut-être. Viens mon bonhomme, j'ai envie de t'embrasser.» Elle me serrait très fort et elle m'embrassait. C'était étonnant qu'elle ait préparé un flan. Comment avait-elle trouvé le temps ? Une fois, mon père, il y a longtemps m'a offert un chien. Il était venu en France exprès pour me l'apporter ; ce n'était pas vrai qu'il était venu exprès mais c'était gentil de me le dire. Je ne savais pas quel nom donner à mon chien. Maman a choisi : Indra parce qu'il était rouge comme la guerre elle disait.  Le soir quand je revenais de l'école il se jetait dans mes jambes, je ne l'ai jamais entendu aboyer. Mon père disait qu'il avait dû souffrir quand il était petit parce qu'il tremblait au moindre bruit. Maman, elle, ne savait pas trop si elle l'aimait : elle lui donnait à manger, ça lui prenait du temps et souvent elle n'était pas là, alors Indra et moi on préparait quelque chose pour tous le deux et on regardait la télé, les films on aimait bien. Les dessins animés aussi, quand ils faisaient rire. Et un jour, il est mort.

    Pourquoi tu es parti ? J'aimais bien quand tu étais à la maison avec nous. Maman aussi, elle riait tout le temps. Elle passait sa main dans mes cheveux et tout de suite après dans les tiens quand on jouait par terre tous les deux. J'ai appris des tas de jeux avec toi, j'aimais bien celui avec les pions rouges et blancs. Et surtout tu avais amené ton train vert. Des heures on le regardait tourner : il passait sous un tunnel et un passage à niveau empêchait les voitures de passer. A Noël, j'avais préparé mes chaussures et les siennes, c'étaient des bottes blanches. Le cirage blanc sentait bon, j'ai mis longtemps pour les blanchir. Elle portait ses bottes blanches quand le train est passé.

    Ici, je n'aime pas les autres enfants, ils disent que je n'ai pas de maman, je les entends quand je passe près d'eux et même s'ils ne disent rien, je vois leurs lèvres remuer. Je pars sur mon vélo et je fais le tour du parc. Les oiseaux ne disent rien, ils chantent mais quand ils me voient ils s'envolent. Heureusement tu es venu. Hier, j'ai vu un écureuil. Il s'est assis sur la pelouse et me regardait avancer. Il n'avait pas peur de moi, peut-être lui aussi il n'a pas de maman. Ses yeux étaient ronds et humides, puis il a bondi deux ou trois fois dans ma direction, je ne bougeais plus et nous avons parlé longtemps. Puis il a dû partir pour travailler. J'ai attendu un peu parce que c'était bon de respirer le parc là où mon ami s'était promené. Les arbres ont caché le soleil et un chien a aboyé. Alors j'ai roulé très vite, la tête baissée sur mon guidon, j'étais poursuivi mais ils ne me rattraperaient pas, je roulais trop vite, plus vite qu'eux. J'ai entendu leur voiture, elle était rouge. J'ai pris le virage à toute allure, et leurs pneus ont crissé, l'arbre a hurlé : ils s'étaient écrasés contre le tronc. Il était devenu tout rouge –la voiture et le sang-. Le soleil était tout aplati et rouge au bout du ciel. Je suis rentré, essoufflé, l'infirmière m'attendait, celle que j'aime bien, Nathalie, sa bouche remue tout le temps et souvent elle mord ses lèvres comme ça. On dirait qu'elle suce des bonbons.

    « J'ai envie d'être tendre. J'aimerais te voir davantage, chez toi, ou chez moi. Loin des autres. Prendre ta main ou simplement te regarder. Je n'ai pas osé te demander de rester cette nuit. Je ne savais pas moi-même si j'en avais envie. Comme si j'étais absente, comme si le fil qui me reliait à l'univers, aux autres, n'avait jamais été que chimère. » Elle écrivait beaucoup, quand il n'était pas là. C'était moi qui postais ses lettres quand elle n'avait plus la force de se lever. Ces jours-là, le lit restait défait et à tout moment elle glissait dans les draps, les couvertures en désordre. Elle restait immobile, les yeux ouverts et guettait le plafond. Je faisais comme elle et mes yeux suivaient les tâches noires qui brillaient entre mes cils. Jamais je ne parvenais à les fixer tout à fait, elles basculaient toujours plus vite que mes yeux. Et puis j'apportais mes jeux, des livres avec des images. On avait faim, elle apportait un plateau avec des tartines de beurre, du chocolat, des jus de fruit, des fruits, elle essayait de lire un magazine, on choisissait de la musique. La radio l'ennuyait, on écoutait des disques. Le lit s'emplissait de toutes ces choses et quand on s'endormait très tard il faisait nuit, tout roulait sur nous et les miettes la gênaient. Alors on se relevait et on chantait à tue-tête pour que les démons sortent de la maison et on posait les disques, les livres, les jeux, les noyaux des fruits, les papiers d'aluminium, tout ça par terre, au pied du lit. Après on tirait très fort les draps dans tous les sens et elle tirait plus fort que moi et je basculais dans le lit, on recommençait. Elle éteignait la lampe et on joignait nos mains dans le noir pour notre prière du soir. Elle la récitait lentement et moi je répétais : « Merci mon dieu de me donner chaque jour cet enfant-là (moi je disais cette maman-là). » On finissait toujours notre prière par cette phrase.

    « Je me réveille avec l'âme boursouflée d'un damné. Parce que tu me dédaignes ? Faudra-t-il toujours répéter les mêmes gestes ? Comme si certaines scènes de la vie se répétaient à l'infini, parce qu'on a perdu la clé de leurs mystères. La porte reste obstinément fermée. J'ai voulu revoir des photos anciennes où j'étais encore en boucles blondes, avec le regard cerné de l'enfance. Déjà le sang noir coulait à flot. Ce matin, je suis damnée et toi tu rayonnes comme une amulette sacrée. » A la maison, on gardait une boîte magique. Une grande boîte en fer peinte : des femmes étendues, presque nues, prenant leur bain. « Ce sont des femmes qui vivent dans un harem », m'expliquait-elle. Qu'est-ce que c'est un harem ? Elle répondait : « Un appartement où vivent les femmes. » Ici aussi c'est un harem ? «Oui, et toi tu es le fils du prince. Toi seul –et le prince bien sûr- vous pouvez pénétrer dans l'appartement. » Comment il est le prince ? « Le jour il s'habille tout en noir, avec un longue djellaba. Dans sa ceinture, il a glissé un poignard effilé au manche d'ivoire. Ses yeux sont noirs. Il reçoit ses sujets, juge leurs querelles, boit dans des calices d'or. Il rince ses longues mains dans des coupes dont le fond est recouvert d'email translucide. Des serviteurs versent de l'eau fraîche. Le soir arrive, des femmes le dévêtent, le baignent et le parfument d'huile précieuse. Elles lui tendent des vêtements blancs, en étoffe légère et lui seul les agrafe et dans sa ceinture brodée il glisse un poignard au manche d'ébène. Ses femmes l'attendent. Mais lui en préfère une, qui le regarde toujours sans baisser les yeux. » Dis, elle te ressemble ? Elle riait. «Peut-être. Non, mes yeux pleurent trop souvent. Je suis laide, elle est très belle.» Je ne la croyais pas. Parce qu'elle avait la peau si douce, les yeux si grands, elle était belle. Certains jours on rangeait tout dans la maison. Elle avait décidé que le désordre devenait insupportable. On rangeait ensemble, pour jouer. On s'arrêtait souvent parce qu'il y avait toujours un nouveau jeu à inventer avec les souvenirs : ses vieilles robes qu'elle triait, les pulls qu'elle entassait dans les placards, ces jours-là elle les ressortait et moi je les pliais avec soin ; elle défroissait tous ses foulards avec les mains ou les passait autour de ma taille pour me déguiser en elfe. De toute façon on retombait toujours sur la boîte en fer. Tout était éparpillé mais nous on s'asseyait sur le tapis et on sortait les photos en couleurs quand j'étais petit et celles en noir et blanc quand elle était petite. Sur l'une d'elles mon père me tenait par les pieds pour jouer au moulin. Nos bouches riaient très fort. Maman disait: « Voilà la tête du roi et celle du prince, comme dans les cartes. » Et elle retournait la photo pour que je me voie dans le bon sens. Maman on ne le la voyait pas sur la photo mais je me souviens qu'elle riait avec nous quand elle nous a photographiés. Je préférais celle où elle souriait en regardant son père, elle lui tenait la main, elle avait six ans. Son père ne la regardait pas, son regard suivait l'œil du photographe, mais maman, en petite fille, s'accrochait à sa main et à son sourire. Maman préférait celle où je portais un costume marin : une veste marine courte avec un col à large revers blanc qui flottait dans mon dos. Le pantalon était long et large et se boutonnait avec quatre boutons, deux de chaque côté comme les marins. Je me tiens debout les mains dans les poches et je regarde sans sourire maman qui photographie. Pour la photo elle m'a prêté un de ses chapeaux, tout blanc très large et je l'ai rejeté en avant parce qu'il retombe sur mes yeux. J'ai posé mon voilier derrière moi, il chavire sur le sol. « Simon, ne bouge pas. Pourquoi ne souris-tu pas ? Bon, très bien, oui, tu es adorable. J'ai envie de te croquer, de croquer le petit marin. » C'étaient ses mots : adorable, à croquer, tu me fais fondre. Elle les répétait les jours de soleil.

    Il y avait du soleil quand on est entré dans la gare. Mais les quais étaient encore mouillés de toutes les pluies de l'automne. Elle tenait ma main. Elle avait beaucoup pleuré le matin en fermant les valises. Au téléphone elle avait demandé : « Tu viendras nous rejoindre, n'est-ce pas ? Dès que tu auras terminé ton travail. Je dois partir seule, oui j'ai les billets, tu me les as confié hier soir. Tu avais promis. Ce n'est plus possible. Non je ne te reproche rien. C'est la vie, oui, je t'écris dès mon arrivée.» Sur le quai elle s'est tordue le pied, on annonçait un rapide qui volait vers le sud, ce n'était pas encore notre train. Elle avait les yeux rouges et pinçait ses lèvres. Elle a lâché ma main. Elle a couru un peu et le train arrivait. Après le sang a éclaboussé mes mains et ma bouche. Les autres ont crié et le train a freiné dans un grand bruit. J'avais si chaud dans tout mon corps, et mes jambes étaient, comme dans un bain chaud, toutes molles. Alors je n'ai plus rien vu, plus rien entendu.

    Ce matin, je suis allé au fond du parc. Maman racontait l'histoire de ce roi qui avait une corne d'or dans sa chevelure. Seul son barbier le savait et il avait promis de ne jamais révéler ce secret à quiconque. Mais le secret envahissait son ventre et il grossissait tellement qu'il allait éclater. Un jour, il est allé dans le désert et à tous les vents il a crié : « Le roi a une corne d'or dans les cheveux ! » Trois fois, et son ventre s'est dégonflé ; il est revenu au palais. Au fond du parc, j'ai crié : « Ma maman est morte ! » Trois fois et j'ai pleuré. Je suis tombé dans l'herbe, j'ai senti la terre froide entrer dans mon nez. Puis j'ai regardé le ciel, il était bleu, un seul nuage. Elle me regardait. Après, je suis retourné à la grande maison et tu es arrivé. C'est elle qui t'envoie ?

     


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  • Mes très chères soeurs,
    Cette nuit, bénissez-moi
    Cette nuit, je serai une homministe !

    A la radio on annonce un astéroïde
    Qui va danser entre terre et lune
    Je sors de ma voiture
    Mes talons claquent dans la nuit
    Je défroisse ma jupe
    J'entre dans le hall de son HLM à graffiti
    Mon aigle solitaire a tous mes envols

    Mes très chères soeurs,
    Cette nuit, bénissez-moi
    Cette nuit, je serai une homministe !

    Là derrière sa porte
    Il m'accueille dans sa tenue d'Adam
    Après le paradis
    Il me soulève du sol
    Pour mieux jeter à mon cou
    Ses baisers délicats et fiévreux
    Mon vorace loup a tous mes tremblements

    Mes très chères soeurs,
    Cette nuit, bénissez-moi,
    Cette nuit, je serai une homministe !

    Je dévisage ses mains et son torse
    Quand il découpe les pommes pour la tarte
    Je lui parle de ma journée au bureau
    Et j'oublie de lui parler du petit cul
    Du serveur de café que j'ai reluqué à quatre heures
    Et que j'ai oublié à quatre heures
    Mon grand ours silencieux a tous mes égarements

    Mes très chères soeurs,
    Cette nuit, bénissez-moi
    Cette nuit, je serai une homministe !

    La chambre est au bout du couloir
    Il trempe sa bouche dans ma forêt
    Je me suspens à sa plus haute branche
    Dans les galaxies la lumière ne va pas si profond
    Dans les océans le flot a moins d'écume
    Il est des étreintes qui éteignent les cieux
    Mon fier cerf a tous mes élans

    Mes très chères soeurs,
    Cette nuit, accordez-moi votre pardon,
    Cette nuit, j'oublie d'être féministe !

    PS
    Mes très chères soeurs, version inversée

    Mes très chers frères,
    Cette nuit, pardonnez-moi
    Cette nuit, je serai un féministe !

    A la radio on annonce un astéroïde
    Qui va danser entre terre et lune
    Je sors de ma voiture
    Mes talons claquent dans la nuit
    Je défroisse mon pantalon noir
    J'entre dans le hall de son HLM à graffiti
    Ma colombe solitaire a tous mes envols

    Mes très chers frères,
    Cette nuit, pardonnez-moi
    Cette nuit, je serai un féministe !

    Là derrière sa porte
    Elle m'accueille dans sa tenue d'Eve
    Avant le paradis
    Je la soulève du sol
    Pour mieux jeter à mon cou
    Ses baisers délicats et fiévreux
    Je fais le loup du grand Tex

    Mes très chers frères,
    Cette nuit, pardonnez-moi
    Cette nuit, je serai un féministe !

    Je dévisage ses seins et son derrière
    Quand elle découpe les pommes pour la tarte
    Je lui parle de ma journée au bureau
    Et j'oublie de lui parler du petit cul
    De la serveuse de café que j'ai reluqué à quatre heures
    Et que j'ai oublié à quatre heures
    Je fais l'ours silencieux dans sa tanière

    Mes très chers frères,
    Cette nuit, pardonnez-moi
    Cette nuit, je serai un féministe !

    La chambre est au bout du couloir
    Je trempe ma bouche dans sa forêt
    Je la suspens à ma plus haute branche
    Dans les galaxies la lumière ne va pas si profond
    Dans les océans le flot a moins d'écume
    Il est des étreintes qui éteignent les cieux
    Je fais le fier cerf pour goûter ses élans

    Mes très chers frères,
    Cette nuit, bénissez-moi
    Cette nuit, je serai un homministe !


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  • - Je lui ai dit tant de belles choses, que j'ai fini par y croire.
    - Quelles belles choses ?
    - Celles que les femmes veulent entendre.
    - Et que veulent entendre les femmes ?
    - Je ne sais pas, je te désire, je suis amoureux, je t'attendais depuis toujours.
    - Et alors ?
    - Elle ne m'a pas cru.
    - Tu nous crois si sottes pour croire à vos boniments.
    - J'étais sincère.
    - Tu en as tout l'air. Et là tu fais quoi avec moi ? Il est à peine minuit, tu m'as dit qu'elle t'avait quitté aujourd'hui et tu es déjà au bordel ?
    - J'avais besoin d'être consolé. Et pour ça tu es la femme parfaite.
    - Oui, j'ai des seins généreux. Donc elle t'a quitté parce qu'elle ne t'a pas cru ?
    - C'est un peu ça.
    - Et que comptes-tu faire pour la convaincre de revenir ? A part, bien sûr, trouver du réconfort auprès de moi.
    - Je ne suis pas sûr de le vouloir. Tu comprends, elle va me faire souffrir. Et je ne veux pas souffrir.
    - Hum, pas mal ce champagne. Reprends une coupe, cela te fera du bien, mais pas trop, tu deviendrais mou. Quoique, j'ai été bien assez montée aujourd'hui. Donc tu ne veux pas souffrir ?
    - Non.
    - Et tu dis l'aimer ?
    - Oui, oui, je crois. C'était si, c'était si. Plein. Entier.
    - Et tu ne veux pas souffrir ?
    - Non.
    - Tu as bien fait de venir au bordel, c'est rare de souffrir au bordel. Enfin, sauf ceux qui cherchent des souffrances pour jouir. Mais je n'appelle pas ça souffrir. Donc tu ne veux pas souffrir ?
    - Non. Pourquoi répètes-tu cette question ? Qu'essaies-tu de me dire ?
    - Ah, on progresse sur la voie. Vois-tu, mon cher ami, nous savons tous que tu es un homme à femmes. Chut, ne nie pas. Tout le monde le sait. Tu es prêt à sauter sur tout ce qui bouge, et je t'ai croisé plus d'une fois aux bras d'une belle dans la ville. D'ailleurs elles ne sont pas toutes belles, ce qui me laisse supposer que tu es attiré par la femme plus que par l'amour.
    - N'est-ce pas la même chose ?
    - Je vis dans ce bordel depuis plusieurs années, et j'ai croisé, ainsi, beaucoup d'hommes. La plupart mariés, d'ailleurs. Ceux-là on sait pour quoi ils nous fréquentent. Ils sont bedonnants, grisonnants, souvent enrayés mais toujours joyeux, ce qui fait leur charme.
    - Ne suis-je pas joyeux avec toi ?
    - Si bien sûr. C'est un peu le principe ici. Mais pas au-dehors. A moins d'être marié et père de famille, de tenir sa maisonnée, son épouse et ses enfants. Mais un amant, un vrai, se doit de montrer et sa joie et sa détresse.
    - Mais je n'ai cessé de lui dire que je ne voulais pas la perdre. Qu'elle était ma bien-aimée.
    - Très bien et qu'as-tu fait pour la convaincre ?
    - Je ne sais pas, je le lui ai dit.
    - L'as-tu embrassée, l'as-tu serrée dans tes bras ? Lui as-tu parlé à l'oreille ? L'as-tu regardé droit dans les yeux en lui rappelant qu'elle est si belle, que tout te plait en elle ?
    - Oui, je crois. Enfin, non. Elle était si silencieuse.
    - N'es-tu pas venu au Méridien la semaine dernière ? Il m'a semblé te croiser, mais j'étais avec mon vieux juge. Il aime quand je lui lis à haute voix des procès et que je le frappe avec ma badine. Il se tient à genoux devant moi et ça le fait bander. Un peu.
    - Oui, je suis venu. Mais c'était avec elle.
    - Tu lui as demandé de passer au Méridien ?
    - Elle n'était pas contre.
    - Hum, tu étais prêt à la donner à un de ces messieurs ?
    - Oui, je sais c'était ridicule. Déplacé. Elle voulait me faire plaisir, mais elle a vite renoncé.
    - Bien, donc tu ne veux pas souffrir ?
    - Encore ? Que veux-tu me faire comprendre ?
    - L'amour a ses codes, mon cher ami. L'amour fait souffrir. C'est sa grande loi. Si tu ne veux pas souffrir, laisse-la partir et ne cherche pas à la revoir. Si tu l'aimes elle te fera souffrir et si tu ne l'aimes pas, c'est elle que tu feras souffrir. Si tu ne veux pas souffrir, cesse de vouloir aimer. C'est la loi de l'amour : souffrir. La loi du plaisir : jouir. Choisis ta loi, les douze coups de minuit vont bientôt tinter.
    - C'est tout ce que tu me conseilles ?
    - Quoi d'autre, voyons... Marie-toi, tu cesseras de souffrir et tu reviendras au bordel.
    - Mais pourquoi l'amour devrait-il faire souffrir ?
    - Ce n'est pas une nécessité, j'en conviens. Mais la souffrance garantit l'intensité. Plus tu souffres, plus tu aimes. Si tu ne souffres pas, tu ne sais pas aimer. Tu évites l'amour. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Gustave : la manière la plus profonde de sentir quelque chose est d'en souffrir. Au fond, mon vieux juge a raison, il aime la loi et il en sent l'intensité quand je ballade ma badine sur ses fessiers nus.
    - Tu m'agaces ! Je ne crois pas à ton raisonnement. Tu confonds l'amour et la passion. C'est la passion qui fait souffrir, pas l'amour.
    - Bien sûr, mais tu as toi-même dit : je te désire, je suis amoureux, je t'attendais depuis toujours. C'est toi qui as parlé le premier de passion. Vois-tu, très cher, si la passion nous tombe dessus comme la foudre, l'amour a besoin de temps. Si tu veux savoir si tu aimes cette femme, tu dois lui laisser le temps de t'aimer, tu dois l'apprivoiser et cesser de lui servir de belles phrases. Vraiment ce champagne est très bon. Finissons-le.


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  • Vous faites suer avec votre made in USA
    Vous parlez mêm' pas la langue de la grande impuissante
    Puisque le sens vous déplait je garde les sens
    Ah oui je déraillerai sur les lignes de notre illustre François
    Je rimerai la langue que je ferai grimper sur la gamme
    J'irai voir du côté de ceux qui ont leurs yeux tournés
    Vers l'autre bord de la Méditerrannée
    Ceux qu'on refoule aux portes des discothèques
    J'irai sur leurs acides jouer du narguilé
    Je me voilerai la face pour voguer au loin
    Je rapperai mon style sur les pétales de rose
    Plein la bouche pour garder la tête haute
    Je franchirai l'Hellespont à l'envers
    Pour voir ce que font les Grecs
    Dans leur malheureuse péninsule,
    Maintenant qu'Hélène leur a été ravie

    Ah ! Rejoindre la vieille Europe et ses archipels
    Jouer de l'interdit avec ceux-là qui nous ont ouvert le chemin
    A l'assaut de vos trip bien blancs
    Je choisirai les guerriers qui crient en sabir
    Ceux qui ont la peau noire, le coeur encore han
    Je ferai ma perle à rebours avec un vieux Jap
    Je délaisserai la pov'langue du vieux shakespeare
    Je revendiquerai le bagou du François pour le baiser
    Par toutes ses rimes, par tous ses E muets
    Jusqu'à la mort je battrai le fer de platine
    Les mots liés à l'harmonique et le sensuel je garderai
    Je poétiserai les mots aux si belles cambrures


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